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En feuilletant rapidement son journal, je tombe sur des pages entièrement consacrées à ses dessins, parfois annotés.

C'est un peu étrange que je ne les aie jamais vus, et surtout que je ne me sois jamais rendu compte de son talent alors que quelques fois, elle faisait des dessins en plein milieu des textes qu'elle me demandait de lire.

Les thèmes de ses dessins sont vraiment variés... Une jeune fille à l'esprit torturé se trouve juste à côté d'enfants qui jouent en riant.

Et puis il y a ces doubles pages ultra détaillées sur lesquelles elle a sans doute passé plusieurs jours...

La première représente des dizaines de personnes à même le sol, sur la neige tâchée de sang. Un drapeau en piteux état de chaque côté de cette double page, l'un représente le yin et l'autre le yang. Et seulement deux personnes sont debouts, une de chaque côté du pli du cahier. Elles se font face, la tête haute, mais l'arme pointé vers le sol, l'air de dire qu'il ne sert plus à rien de se battre. Elles sont toutes deux jeunes et exténuées, un début de sourire de soulagement aux lèvres. Ces deux adversaires sont deux femmes. L'une a une coupe à la garçonne et l'autre, de longs cheveux. Mais les différences s'arrêtent là; elle partageaient exactement les mêmes traits.

Une bulle partant des deux personnages pose une question simple à laquelle il n'y a pas de réponse, ni sur ce dessin, ni sur tous les autres que j'ai vu. Cette question est: " Pourquoi est-ce qu'on se bat ? "

Sur une autre double page, on retrouve ces deux femmes, sans doute jumelles, dans une salle de danse, au milieu d'autres danseurs et danseuses. Mais, encore une fois, elles ne sont pas du même côté. Celle aux longs cheveux, qui sont rassemblés en un chignon, est à droite, vêtue d'un justaucorps, d'un collant et de ballerines. L'autre est à gauche, en a une chemise ouverte sur un t-shirt noir, un jeans bleu et des baskets.

Je ne sais pas vraiment sur quelle musique on peut lier classique et hip-hop, mais je sais que ce dessin est superbement bien fait... Et puis, de toute façon son but en faisant ce dessin n'était sûrement pas de lier deux styles de danse totalement différents. Non, son but était sans doute de trouver des réponses, tout comme moi en ce moment. Je pense qu'elle voulait surtout trouver une réponse à la question que pose un reflet de l'immense miroir qui couvre tout un mur de la salle. Ce reflet n'appartient à aucune des silhouettes du dessin. Un reflet avec les mêmes traits que les deux filles qu'on peut voir sur la double page précédente. La différence est que celle-ci a les cheveux mi-longs. Sa bulle dit " Dois-je oublier celle que j'étais pour devenir celle que je veux être ? Ou dois-je tout simplement accepter celle que j'étais pour changer ? "

Elle est terrible cette question. En tous cas je la trouve terrible, moi. Je n'avais pas remarqué qu'elle était perdue à ce point... Et si... Si je m'en étais aperçu, aurait-elle quand même disparu ? Si j'avais fait attention, est-ce que je n'en serais pas à m'inquiéter comme ça ? Et si c'était un peu de ma faute tout ça ...?

Putain... Je fais vraiment pitié, pas vrai ? Je suis le pire des fragiles de cette Terre. En plus elle me l'a répété mille fois. Ce n'est jamais bon de refaire la vie avec des si. Parce qu'avec des si, tout devient possible. Parce qu'avec des si, on culpabilise pour rien. Et ça nous mine. Ça nous fait penser qu'on est que des bons à rien alors que c'est impossible. On est toujours bon pour quelque chose.

Elle a pas mal galéré pour que je comprenne cette chose pourtant bien plus simple que mes exercices de mathématiques...

Oui, mon cerveau est vraiment très étrange.

Enfin, revenons à ses dessins.

Sur la troisième double page avec une seule scène représentée, on peut voir la fille aux cheveux courts qui va comme pour sortir du cadre, une bombe de peinture à la main et un petit sourire collé au visage. Derrière elle se trouve un mur sur lequel quelqu'un a graffé un gosse avec sa famille, un immense sourire aux lèvres et les yeux presque fermés. Dans le coin inférieur droit de ce mur, il est écrit, une couleur différente par lettre et avec une écriture d'enfant: " Il n'y a rien de plus beau que le sourire d'une personne aimée, alors souris toi aussi ! "

Je trouvais déjà le dessin d'avant magnifique, alors celui là... Il était tout simplement sublime. Il y a sans doute toute la joie et toute l'innocence du monde dans le sourire de ce gamin. Il y a sans doute aussi tout l'amour dans les yeux de ses parents qui le regardent tendrement.

Sur la quatrième double page, elle avait repris le dessin de la théorie de l'évolution, remplaçant simplement les personnages par toutes les phases qu'elle avait traversées. Commançant par un bébé, passant par une fillette sautillant, par une ado blasée qui s'habille tout en noir, et finissant par une jeune fille aux cheveux courts et aux mèches rouges qui s'est arrêtée de marcher pour enlacer une fille aux yeux en amande et aux longs cheveux raides.

Sur la cinquième et dernière double page, il n'y a aucune trace des deux filles au même visage. Enfin... peut-être que si. Peut-être que la main tenant une rose sur le bord de la page appartient à l'une de ces deux filles. Ce dessin représente surtout une jeune fille qui joue du violon dans une rue commerçante. Ses longs cheveux sont raides et noirs, et ses yeux, en amande, sont mi-clos. Elle est sans doute trop concentrée sur les mouvements de son archet et de ses doigts sur les cordes pour les garder complètement ouverts. Elle porte un t-shirt blanc, un short en jean et une chemise noire et rouge nouée à sa taille. Dans la boîte de son instrument, ouverte sur le sol, on peut voir quelques pièces et des fleurs, sans doute offertes par celui ou celle qu'elle aime. En tout cas, ce qui est sûr c'est que c'est la main de cette personne sur le bord de la page.

Mais c'est sûrement une fille. Qui est sûrement ma sœur, puisque je ne vois qui pourrait être cette violoniste si ce n'est pas Maxine.

Dans la rue où se déroule la scène, on peut voir une école de danse, un fleuriste, une boulangerie pâtisserie et un magasin d'instruments de musique. Exactement comme une rue au centre-ville.

Sur les pages suivantes, il y a plusieurs esquisses qui reprennent cette violoniste pour modèle dans plusieurs positions et expressions différentes. Il y en avait plusieurs joyeuses, en colère, blasées, effrayées, mais une seule était triste, et on voyait à peine son visage, caché derrière ses genoux alors qu'elle était assise en position fœtus. Sous ce dessin là, elle avait écrit: "Ça arrive à tout le monde de se perdre. Même à ceux qui se montrent fort. Donc il faut être là pour eux."

and then she disappearedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant