One Shots

La Noyée

Elle avançait.
Elle marchait sur les galets glacés du fond de l'eau. Elle avançait doucement, pas à pas. De l'eau jusqu'à la taille, elle continuait de marcher vers les eaux plus profondes, vers ce trou d'eau bleue insondable et mystérieux.
Devant elle, les doux reliefs du paysage se fondaient dans la brume, le soleil confondant les deux sans pourtant que cela soit désagréable au regard.
L'eau lui arrivait pour l'instant à la taille, elle fit un pas en avant.
Pourquoi était-elle ici ?
Premièrement parce qu'elle cherchait depuis bien longtemps d'où elle venait, qui étaient ses parents, qui avaient disparus sans laisser de traces il y a quinze ans de cela. On l'avait alors trouvée dans un couffin qui flottait doucement sur l'eau de ce même lac, un couffin sortant apparemment de nulle part. Elle était allée à l'orphelinat, avant d'être recueillie par une femme aimante et attentionnée, gentille avec elle comme si elle avait été son enfant. Cette femme l'avait élevée, et la jeune fille ne s'était jamais douté qu'elle ne fût pas sa mère biologique.
Un pas de plus.
Il y a un an, quatre mois après que sa mère adoptive soit morte, elle avait commencé à chercher ses vrais parents. Elle avait appris l'histoire de son adoption dans le testament de sa "mère", et elle avait trouvé depuis des détails la menant peu à peu vers ce fichu lac. Mais des détails qui, au fur et à mesure de son enquête devenaient de plus en plus étranges. Pour tout dire elle crut faire fausse route, tant les révélations qu'elle avait étaient tirées par les cheveux.
Un pas.
Mais enfin. Elle avait cherché, et trouvé. Sur ses parents, la manière dont on l'avait retrouvée, leur ancienne vie aussi. Cette dernière semblait d'ailleurs ne pas exister : ils n'avaient pas d'identité, n'avaient jamais étudiés nulle part, n'existaient socialement pas, et pendant des années, la police avait cherché les origines de la jeune fille sans jamais comprendre. Bien qu'ils n'aient jamais trouvé, leurs documents et tracés de recherche l'avaient beaucoup aidé.
Un pas, sa peau se glaçait lentement.
Mais quel était le rapport entre le fait qu'elle veuille retrouver ses véritables parents et celui qu'elle avance vers sa noyade ? Premièrement, parce qu'elle savait que toutes les réponses se trouvaient ici, toutes les solutions à ces énigmes. Deuxièmement, la femme qui l'avait adoptée étant aujourd'hui morte, et elle avait voulu ce lieu si significatif pour elle, et arrivée ici, elle avait été prise d'une impulsion et était descendue dans le lac. Son corps était en mode automatique, elle marchait sans faire attention au fait qu'au bout d'un moment elle ne respirerait plus. Et puis pas grave, respirer était devenu facultatif, si elle mourrait, elle s'en fichait.
Encore un pas.
Et puis elle n'avait jamais rien dit à personne à propos de ses recherches. Après tout, elle n'avait pas de confidents, à qui pouvait-elle le dire ? Mais les résultats de son enquête devenaient réellement inquiétants, personne ne l'aurait cru de toute façon. Pourtant, elle ne pouvait pas se tromper, elle avait toutes les preuves en main ! Des preuves qu'elle avait eu du mal à obtenir d'ailleurs, la plongeant jusqu'au cou dans les embrouilles des dealers de drogue. En fait, ces informations lui avaient fait peur, imaginez un peu : on tente de retrouver ses parents et le seul moyen d'obtenir de quelconques réponses est violent et interdit ? Elle avait eu bien peur, peur de retrouver ses parents et de le regretter.
Un pas, elle eut un mouvement de froid.
Mais malgré les endroits malsains ou elle avait trouvé les réponses à ses questions, elle savait désormais que retrouver ses parents ne serait pas regrettable. Elle avait compris que si seuls des mafieux et des assassins avaient des informations, c'était parce que l'identité de ses parents était inconnue, et eux savaient acheter les gens et connaissaient tout les exclus de la société qui pourraient être d'éventuels concurrents.
Un pas, l'eau lui glissa dans le creux du dos.
Elle allait se noyer, maintenant. Qu'est-ce que ça pouvait faire si elle se noyait ? En partant de la maison elle avait laissé une lettre, une seule, pour celui qui la trouverait. Qui que ce soit. Elle y disait que c'était la dernière fois, que personne ne la reverrait ni la retrouverait. Il y avait bien sûr plusieurs sens à cette phrase, elle ne reviendrait pas en tout cas. Jamais, elle allait disparaître de la civilisation humaine sans pour autant forcément passer l'arme à gauche. Comme ses parents en fait.
Un pas, elle sentit le froid gagner ses omoplates.
Elle n'avait d'ailleurs rien prit avec elle, elle n'avait plus que ses habits et son passé, c'était bien assez. Qui la chercherait ? Elle n'avait plus personne, c'était à présent une orpheline. Pas de famille ni d'amis.
Le plus étrange, c'est qu'elle n'était pas triste. Rien, pas de remords ni de regrets, aucune douleur. En fait, elle se sentait très bien. Elle était paisible à marcher ainsi vers son éventuel décès.
Un pas, l'eau lui remonta dans le cou.
Fini, sa vie au cœur de la civilisation humaine était terminée, tout était bien.
Un pas.
L'eau la submergea complètement, et elle se mit automatiquement en apnée.
Un pas, un autre, encore un autre.
Ses cheveux flottaient doucement autour d'elle, en apesanteur. L'eau ne tentait étrangement pas de la repousser à la surface, comme acceptant son choix.
Un pas.
Une voix, douce, légère, délicate, se fit entendre, de plus en plus forte - qu'elle percevait malgré la saturation sonore. La jeune fille regarda autour d'elle, sondant l'eau, puis sourit : elle ne s'était pas trompée, elle avait trouvé ! Alors apparut devant elle deux personnages, l'homme tenant la main de la femme, et tout les deux étaient coiffés de couronnes.
Un cortège arrivait derrière, sonnant des cors et annonçant "La princesse est de retour ! Hourra !".
La jeune fille inspira un grand coup, constatant avec bonheur qu'elle respirait.
Elle avait réussi.
Et elle était heureuse.

-> En fait, si j'ai écrit ceci, c'est en vue d'un concours : il m'était imposé de concevoir un texte à partir de l'image qui me sert de couverture. Voici ! Je rassure qu'il n'y a pas de suite à cette courte histoire - à moins que vous ne vouliez en écrire une ?

Goodbye ;)