Comme un lundi

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— M'man ! Je ne trouve pas mes Beyblade! hurle Tom depuis sa chambre.

Je hais le lundi.

Je hais les rentrées.

Je hais les lundis de rentrée.

— Ce n'est pas grave ! On est en retard, viens vite !

— Non ! Il me les faut absolument ! Je dois faire un combat avec Rémi pendant la récré !

— On s'en fout de tes toupies, microbe ! Dépêche-toi ! Pfff, j'aurais mieux fait de prendre le bus, râle Louise, sa sœur.

C'est la course tous les matins mais aujourd'hui, on bat des records. Les enfants ont repris le rythme de l'école depuis quinze jours déjà, on pourrait croire qu'ils seraient d'attaque ce matin. Ou au moins conciliants. Histoire que leur pauvre mère ne soit pas encore plus en stress qu'elle ne l'est déjà.

— Tom, chéri, y'en a une sur la table de la cuisine.

— Mais c'est pas Valtryek ! Il me faut Valtryek !

Zen, Ali, zen.

J'inspire un bon coup et essaie de garder mon calme.

C'est ça ou je le colle au mur.

— Bon écoute, Tom, c'est ça ou rien. On n'a plus le temps de chercher. Ta sœur va finir par être en retard et moi aussi ! Et je ne peux pas être en retard, tu comprends ça ?

Il finit par enfiler ses baskets en râlant et nous suit dans la voiture. Sa sœur n'est pas de meilleure composition et je regrette presque de lui avoir proposé de l'accompagner ce matin. Moi qui pensais que commencer la journée avec eux me détendrais ! Je dépose Tom puis Lou et fonce vers l'université. Bien entendu, c'est l'heure de pointe et je me ronge les ongles dans les embouteillages. Je finis par arriver sur le parking de la fac où je me gare comme je peux, n'ayant toujours pas de badge me permettant d'accéder aux places réservées au personnel.

Perchée sur mes talons aiguilles, engoncée dans ce tailleur qui me rappelle que j'ai un peu trop abusé des glaces cet été, je trottine jusqu'à ma salle de cours. Je crois que j'ai un peu exagéré avec cette tenue, c'est beaucoup trop strict, pas vraiment moi. J'ai voulu me la jouer sérieuse et professionnelle et masquer mon allure juvénile mais j'ai bien peur d'être juste ridicule. Le chignon est sans doute en trop, lui aussi. Je pénètre dans la pièce et laisse échapper un soupir de soulagement lorsque je remarque que celle-ci est vide. J'en profite pour rectifier un peu mon apparence. J'arrange ma coiffure en libérant mes longs cheveux blonds, je les secoue un peu car vu leur nature –raides comme des baguettes, ça vous parle ? – ils manquent cruellement de volume. Je sors mon miroir de poche et me scrute. J'ai souligné mes yeux bleus d'un peu de mascara et d'un trait de crayon noir, posé une touche de rose pâle sur mes lèvres, un peu de blush, pour la bonne mine, tout est O.K. J'ai l'air stressé mais ça, je ne peux pas y faire grand-chose, malheureusement. J'essaie de me dire que je connais ce cours par cœur, que je l'ai préparé consciencieusement cet été, j'ai quand même la boule au ventre.

Allez, Aliénor, respire, tout va bien se passer. Ah oui ! Je ne vous avais pas dit ? Je m'appelle Aliénor. Aliénor Daquitin. Oui, j'ai des parents profs d'histoire et farceurs. Ou juste un peu barges. Heureusement, les ados ne sont pas forcément très férus d'histoire médiévale et j'ai juste subi des moqueries concernant mon prénom. Et puis, j'ai fini par m'y faire, même si tous mes proches m'appellent Ali.

Mon ex-mari, lui, m'a toujours appelée Al. Je n'ai jamais osé lui dire que je déteste ce surnom. Il m'a toujours évoqué le héros de la série Mariés, deux enfants. Ce n'est pas la seule chose qu'il faisait que je déteste. Sa façon de mépriser tout ce que j'aime, sa volonté de contrôler ma vie, sa jalousie quand je réussissais quelque chose, son aigreur quand il a vu que j'allais enfin réaliser mes rêves professionnels. Bref, ce n'est pas le moment de penser à lui.

J'installe mes affaires et allume l'ordinateur juste au moment où les premiers étudiants entrent dans la salle. Ils étudient l'histoire de l'art et l'espagnol n'est qu'une option pour eux, mais mes collègues m'ont affirmé que ce sont des élèves sérieux et appliqués. Le premier cours est très important, la prise de contact est essentielle. Leur donner envie, être sympa mais pas trop, on a l'impression de marcher sur un fil. Il faut trouver le juste équilibre pour motiver les troupes et ne pas se faire marcher sur les pieds.

Je suis assez fière de moi. J'arrive à me présenter et à expliquer ce que nous allons faire ensemble cette année sans que ma voix tremble. Les étudiants ont l'air ravi à la perspective d'étudier les œuvres de Frida Kahlo. Tant mieux, moi aussi ! Je sens que ce semestre va être des plus intéressants avec eux. Certains posent déjà des questions pertinentes, c'est un réel plaisir.

Nous sommes installées depuis au moins un quart d'heure lorsque la porte s'ouvre à toute volée. Un grand blond avec un chapeau sur la tête et un carton à dessin sous le bras fait son entrée en s'excusant.

— Désolée, madame. J'étais re...

Lorsque ses yeux rencontrent les miens, il marque un arrêt, surpris. L'espace d'un instant, une lueur de doute passe dans ses iris azur puis il reprend :

— J'étais retenu par mon directeur de recherches pour finaliser mon sujet de mémoire, fait-il en me lançant un sourire charmeur.

Oh bon sang !

Ces fossettes.

Ces yeux d'un bleu si intense.

Merde.

Merde. Merde. Merde.

Inspire, Ali. Expire.

Inspire.

Expire.

— Euh... Pas de problème. Vas t'a... Allez vous asseoir, s'il vous plait.

Vite ! Trouve autre chose à ajouter ! Je suis sûre que j'ai l'air d'une gourde !

— Et enlevez votre chapeau. C'est interdit en classe, dis-je en essayant de me montrer sévère et professionnelle.

Raté. Le sourire qu'il me décoche en ôtant son chapeau me prouve qu'il a très bien saisi le trouble qu'il a provoqué.

Et surtout, qu'il sait très bien qui je suis.

Trop jeune... ou pas! [Sous contrat d'édition aux Éditions Addictives] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant