I know what you did last summer

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Désarçonnée par ses fossettes et son sourire charmeur, j'essaie tant bien que mal de continuer mon cours. J'évite soigneusement de croiser son regard azur pour ne pas me liquéfier sur place, ça ferait mauvais genre et, surtout, niveau crédibilité, je ne gagnerais pas de points auprès de mes étudiants. J'enchaîne en finissant de leur expliquer le programme et ma manière d'organiser les cours puis je leur propose de se présenter, en espagnol, pour occuper les dernières minutes. À peine ai-je refermé la bouche que je réalise que je vais devoir l'écouter, lui. Et le regarder.

Allez Ali, on se calme, on respire et on essaie de rester maîtresse de la situation. Après tout, ça remonte à plus d'un mois, tu peux toujours nier s'il vient t'en parler. Oui, c'est ça ! Je vais faire comme si ce n'était pas moi. Des petites blondes en vacances en Espagne, il y en a des tas ! Et si mes souvenirs sont bons, il devait avoir bu, lui aussi. Allez, on y croit !

Les premiers étudiants commencent à prendre la parole, hésitants. Niveau maîtrise de la langue, c'est pas gagné ! Bon, quelques-uns ne sont pas mauvais mais leur accent est à couper au couteau ! Vient enfin le tour de mon petit blondinet.

« Petit blondinet » ? Qu'est-ce qui me prend de l'appeler comme ça ? Adossée à mon bureau, les bras croisés, je le regarde en essayant de rester naturelle.

— ¡ Hola, buenos días a todos ! Me llamo Sacha Cordier y soy...

Bordel de cul ! Cette voix ! Comment ai-je pu oublier cette voix chaude et terriblement sensuelle ? En plus, dans la langue de Cervantes, son timbre a limite quelque chose d'érotique. C'est une des choses qui m'a fait fondre quand il est venu me parler à l'oreille, ce soir-là. Le souvenir des frissons qui ont parcouru mon corps à ce moment-là s'immisce dans ma mémoire et je fais tout mon possible pour suivre en ayant l'air intéressé par ce qu'il raconte. Je fronce exagérément les sourcils et hoche la tête d'un air satisfait quand il explique qu'il est né ici avant de passer une partie de son enfance près de Madrid, puis qu'il a passé son adolescence en Bretagne – le choc de cultures – avant de s'installer ici il y a quelques mois. Je comprends mieux son aisance et la qualité de sa présentation à présent. Il parle avec les mains et je trouve ça carrément sexy. Il est carrément sexy, de toute façon. Je repense à ses mains sur mon corps, à sa façon de caresser chaque endroit stratégique et je sens le rouge me monter aux joues. Je change de position, gênée, mais je ne peux pas me retenir d'observer ses doigts, longs et fins, mais si virils malgré tout, si...

— Madame ? ... Madame ? Euh... Señora ?

Je sursaute en réalisant que tous les regards sont braqués sur moi et que mon jeune étalon a terminé son monologue.

Merde !

— Euh... Très bien, très bien, jeune homme. Merci. Bien, tout le monde est passé ? On se revoit la semaine prochaine, même jour, même heure ? conclus-je au moment où la sonnerie retentit.

Je me retiens d'ajouter « même pomme » mais je crois que leur incompréhension face à la référence musicale me renverrait violemment à la face notre différence d'âge. (1)

Je mets de l'ordre dans mes affaires en attendant la classe suivante pendant que les étudiants d'Histoire de l'art quittent la pièce.

— Je croyais que tu étais traductrice aux Nations Unies.

Oups. J'ai peut-être un peu déformé la vérité.

Je lève les yeux de mon sac et découvre Sacha devant mon bureau, un sourire goguenard étirant ses lèvres.

— Pardon ?

Faire l'innocente. Ne pas lui donner raison.

— Et vu les initiales sur l'emploi du temps, j'en déduis que tu ne t'appelles pas Constance ?

— Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez, jeune homme.

— Je me doutais déjà que tu m'avais menti sur ton âge et que tu n'avais pas vingt-six ans...

Petit con !

— Mais est-ce que tu m'as dit au moins une seule chose de vrai ?

Je grimace mais parviens à répondre :

— Écoutez... euh...

— Sacha.

Comme si je ne me souvenais pas de son prénom ! J'ai dû le crier une bonne centaine de fois cette nuit-là !

— Écoutez Sacha, vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre, je ne comprends absolument pas ce que vous voulez me dire.

— Tu prétends que ce n'était pas toi, le quatre août dernier, à l'hôtel Mar i Munt ? demande-t-il, un sourcil relevé.

Je secoue vigoureusement la tête.

— Ce n'est toujours pas toi avec qui j'ai dansé une bonne partie de la soirée et avec qui j'ai passé la nuit ? poursuit-il en s'approchant de moi. Toujours pas toi qui a crié mon nom pendant que je te faisais l'amour ? ajoute-t-il, moqueur.

Il est tout près de moi, maintenant. Je suis obligée de lever la tête pour le regarder. Une lueur de malice brille au fond de ses yeux. Il se fout clairement de moi, ce gamin.

— Et ce n'est toujours pas toi que j'ai mordillé, juste... là, dit-il en passant son doigt sur ma clavicule, quand tu m'as rendu fou de désir ?

Je déglutis péniblement. J'ai chaud. Beaucoup trop chaud.

— C'est drôle car cette fille magnifique qui m'a fait passer une des plus belles nuits de ma vie et qui a disparu au petit matin avait exactement le même grain de beauté que toi, dans le cou, ici.

Il joint le geste à la parole et je manque de défaillir. Bon sang, mais qu'est-ce qui m'arrive ? On dirait une midinette vierge et étroite qui n'a jamais vu le loup ! Faut pas que je raconte ça à Dounia, elle va me surnommer Tessa !

— C'était qui alors, d'après toi ?

— Euh... Ma jumelle maléfique ? tenté-je d'une toute petite voix.

Il éclate de rire alors que les premiers étudiants du cours suivant font leur entrée. Je le regarde réajuster son chapeau et caler son carton à dessin sous son bras.

— Et bien, peux-tu dire à ta jumelle maléfique je serais très heureux de la revoir ? Et pourquoi pas, aller boire un verre ?

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée...

— Oh, ta jumelle est bien moins timide que toi, elle devrait accepter ma proposition, fait-il en me lançant un clin d'œil. De toute façon, on se revoit au plus tard, la semaine prochaine, même jour, même heure, non ?

Et il s'en va, sous le regard admiratif des étudiantes de première année.

J'essaie de reprendre mes esprits et d'envisager les conséquences de ce qu'il vient de se passer.

O.K., il m'a reconnue.

O.K., il ne semble pas vouloir lâcher l'affaire aussi facilement.

Pourtant, il va bien falloir que je lui fasse comprendre que ce qu'il s'est passé cet été n'a été qu'un accident, une erreur de parcours et que surtout, ce n'est pas près de se reproduire. Non seulement j'ai plus de dix ans de plus que lui, mais, en plus, je suis sa prof. Et même s'il dit avoir passé une des meilleures nuits de sa vie – ce qui, entre nous, a fait du bien à mon ego – il est hors de question que je refasse la même erreur.

Cette année, c'est mon année ! Pas question de tout foutre en l'air pour une partie de jambes en l'air. Fossettes craquantes ou pas fossettes craquantes ! Tiens, ça me rappelle qu'il a aussi une adorable fossette sur la fesse droite, c'est absolument...

Aaaaaaahhhh ! Stop !

Sérieux.

Concentration.

Abstinence.

Je me suis fixée un objectif, hors de question de dévier du droit chemin.





(1)Place des Grands Hommes, Patrick Bruel.

Trop jeune... ou pas! [Sous contrat d'édition aux Éditions Addictives] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant