Chapitre 1

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  Le jour commence à se lever. Dans le cimetière de Lille, parmi les tombes et les croix en pierre, Alice Avril marche seule, une fleur blanche entre les mains. Elle regarde par-ci par-là quelques coups d'œil aux noms gravés sur les tombes, mais rien de plus. Elle est en train de penser à sa mère, Émilie Beauregard. Elle se rappelle de la première fois - qui est aussi la dernière - qu'elle l'a vue. C'était une femme forte de caractère, une femme absolument formidable. Pourquoi le Destin ne l'avait-il pas protégée d'un meurtre ? La jeune journaliste n'avait pas eu le temps de partager avec elle de bons moments. Une larme coule sur son visage.

  Alice s'arrête soudain. Elle vient de voir que, devant la tombe de sa mère, un homme se recueille. Il a les cheveux gris, l'air d'avoir la soixante ans et est vêtu d'un complet gris. Qui est-il ? Elle ne le reconnaît pas. Est-ce une connaissance de sa mère ? Un ancien ami, peut-être. Mais elle ne l'a jamais vu les autres fois où elle allait au cimetière. Peut-être vient-il juste d'arriver ? La jeune rousse a pour toute réaction... de se cacher. Prudemment, elle jette un coup d'œil discret vers l'individu.

  Ce dernier s'accroupit, touche des doigts la tombe d'Émilie Beauregard et reste dans cette pose durant quelques minutes. Il doit être perdu dans ses pensées, se dit Avril. Mais à quoi peut-il donc penser ? Aux moments heureux et malheureux avec Émilie Beauregard ?

  L'individu se relève, jette un regard mélancolique à la pierre tombale et s'en va. Piquée par la curiosité, Avril se met à le suivre discrètement. Elle est persuadée qu'il pourra la renseigner sur sa mère, voire même lui confier des souvenirs du passé. Du passé de sa propre mère.

  La journaliste suit l'homme qui sort du cimetière. Elle continue à le suivre quand il . Lorsqu'il arrive que l'inconnu se retourne, elle fait semblant de se renseigner auprès de la première personne à sa portée - soit une mère avec son petit garçon, soit un vieil homme à moitié sourd. La filature continue ainsi durant quelques minutes.

  L'homme arrive enfin à la porte d'une grande maison. Avril, qui a pris soin de se cacher dans un recoin, l'observe en douce. L'homme toque à la porte, et un grand malabar lui ouvre. L'inconnu du cimetière lui chuchote quelque chose à l'oreille de ce gorille humain avant d'entrer. La jeune rousse se dirige à pas de loup vers la maison et s'approche d'une fenêtre pour regarder à l'intérieur. Le visage du grand costaud apparaît soudainement. Surprise, la journaliste recule et prend les jambes à son cou, sachant que l'autre ne va pas tarder à se mettre à sa poursuite.

  Dans la maison, l'homme du cimetière soulève un tapis au sol, révélant ainsi une trappe. Il l'ouvre et descend les escaliers qui le mènent à une cave. En fait, cela ressemble très peu à une cave : il y a des tables de jeu, un bar entouré d'hommes et de femmes qui boivent à n'en plus finir et des machines à sous, le tout avec un personnel aussi varié qu'étonnant. Un homme au chapeau de cowboy et accompagné d'une jeune fille d'au moins dix-neuf ans se déplace dans ce capharnaüm pour accueillir celui qui vient d'arriver.

- Alfred Syles ! Alors, comment va mon croupier préféré ?

- Comment d'habitude, patron, répond le dénommé Alfred Syles.

- Combien de fois dois-je te dire de m'appeler par mon prénom.

- Bien, dit Syles comme à regret. Ça va, Benoît ?

- Comment ne pas dire que ça va ? Je gagne beaucoup d'argent, et surtout grâce à toi. Maintenant, va t'habiller : ta table habituelle ne peut pas se tenir sans son croupier.

  Alfred Syles se dirige donc vers les vestiaires sous l'oeil amusé de son employeur et le regard presque moqueur de sa fille.

LPM - La mort a tournéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant