Chapitre 3

81 6 0
                                    

  Dans la cave de Benoît Croifer, l'ambiance est à son comble. Une femme gagne une manche à la roulette, une autre boit un verre avec un parfait inconnu, et un homme d'une trentaine d'années dépense son argent dans une machine à sous. Quant à Syles, il fait du charme à une vieille fille recouverte de bijoux.

- Je vous assure. Vous êtes l'une des plus succulentes créatures de ce monde.

- Arrêtez, vieux fou, lui dit la dame avec un sourire. Vous allez me faire rougir.

- Serait-ce donc un crime ? Si c'est le cas, vous n'allez quand même pas me dénoncer aux flics.

- Surtout pas : vous êtes trop mignon pour qu'on vous fasse ça.

- Avouez-le, vous voulez m'épouser.

- C'est pas bientôt fini, ces jérémiades ? s'impatiente un joueur qui attend que le croupier fasse son travail.

  Syles fait un bisous sur la joue de sa victime charmée avant de se tourner vers les joueurs de la roulette avec un grand sourire. Mais ce sourire disparaît de ses lèvres lorsqu'il voit dans la marée humaine une femme vêtue complètement de noir : robe noire, chapeau à larges bords noir, sac à main noir, et même des lunettes noires. Elle s'approche, les yeux baissés, vers la table de Syles et jette un œil aux joueurs présents avant de braquer son regard sur le croupier. Le visage de ce dernier laisse transparaître un mélange de curiosité et d'inquiétude. La nouvelle venue ouvre son sac, farfouille dedans sous les yeux de Syles et en sort une petite médaille sur laquelle est gravé un cerceau avec cinq poires. Cette fois, le visage de Syles exprime la peur. La femme en noir, avec un grand sourire, range ensuite la médaille dans son sac et s'en va, toujours sans rien dire. Maintenant, le croupier a l'air d'avoir vu le Diable, ou plutôt son pire cauchemar. Une jeune adolescente le remarque, s'approche de lui et lui demande :

- Est-ce que ça va ?

- Oui, oui... Ne t'en fais pas, Lili.

  La voix de Syles est peu convaincante à l'oreille de Lili. Mais cette dernière n'a pas le temps de s'en soucier davantage car Benoît Croifer l'appelle :

- Lili ! Combien de fois dois-je te dire de ne pas traîner ?

- Désolé, papa ! Des fois, je me demande encore ce que fais ici, dit-elle à l'intention de Syles.

- Ne t'en fais pas. N'oublie pas que tu es quelqu'un de formidable.

- C'est vous qui auriez dû m'adopter. Vous êtes le père idéal pour moi.

- Je sais, je sais. Allez, va retourner auprès de ton père.

- Dîtes...

- Oui, Lili ?

- Qui était cette dame en noir ?

  Le visage du croupier exprime bien sa réponse avant même qu'il ne parle.

- Je ne veux pas trop en parler. Et si tu allais rejoindre Sam ? Je crois qu'il t'attend.

  Syles montre du doigt un jeune homme à la peau foncée qui surveille les machines à sous et jette un regard encourageant à Lili. Celle-ci s'avance donc vers le dénommé Sam qui détourne intentionnellement ses yeux d'elle. Mais ce geste d'apparence peu aimable ne semble pas déranger la jeune fille. Elle s'approche de lui et lui murmure à l'oreille :

- Pas la peine de faire semblant avec Syles. Je suis sûre qu'il sait pour nous.

- Et alors ? Je te rappelle que ton père traîne dans les parages. Il peut nous surprendre à tout moment. Mais ne t'en fais : on va bientôt quitter cet endroit, et t'auras la vie que tu mérites avec moi.

- Mais il faut de l'argent pour ça, et on n'en a pas assez.

- T'en fais pas, j'ai un plan pour ça. Mais je ne t'en dis pas plus.

- Rassure-moi, Sam, tu ne vas pas faire des bêtises ?

- Non, non. Fais-moi juste confiance, chérie.

  Croifer arrive à ce moment-là. Sam et Lili font comme si de rien n'était, mais ne peuvent pas s'empêcher de transpirer quand il s'adresse à eux :

- Alors, ça va ? L'argent rentre ?

- Oui, patron, répond Sam.

- Dis donc... Je te trouve sur les nerfs, là. Tu n'as quand même pas détourné de l'argent ?

- Non, patron.

- Je l'espère bien. Continue à être sage, et je te garantis que tu auras une promotion très spéciale.

  Sur ces mots, l'homme au chapeau de cow-boy tapote l'épaule de son employé comme s'il s'agit d'un copain et s'en va, souriant plus que jamais. Sam se tourne vers Lili et lui dit :

- T'as vu comment il me traite ? Il a cru que j'étais son pote ou quoi ? Je suis sûr que c'est parce que je suis noir.

- Calme-toi, Sam. Il pourrait t'entendre. Et puis, n'exagère rien : la couleur de peau ne compte pas tant que ça.

  Sam jette à sa petite amie un œil sceptique.

- Dans une société comme celle-là, si. Tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai subi des humiliations rien que pour ça.

- Ça, c'était avant. Mais maintenant, les gens ont changé.

- Pas tout le monde, Lili. Pas tout le monde.

  La jeune fille baisse les yeux et s'en va. Sam s'apprête à se concentrer de nouveau sur son boulot quand l'autre fille de Croifer, celle qui a le même sourire méprisant que son père, s'approche de lui et lui dit :

- Alors, on a une petite amoureuse ?

- Toi, Sabine, t'as intérêt à te tenir tranquille avec moi. N'oublie pas que...

- Chuuut, murmure doucement Sabine en posant un doigt sur les lèvres de Sam pour le faire taire. Tu veux un conseil ? Quand tu menaces de révéler le secret de quelqu'un, assure-toi d'abord à ce que ce quelqu'un ne se renseigne pas sur ta petite vie privée.

- À mon tour de te donner un conseil, Mademoiselle Je-m'y-crois-trop : ne fais pas ta maligne, surtout quand j'ai un gros dossier sur toi. Et dans ce gros dossier, il y a quelque chose qui pourrait te faire tomber bas, tellement bas que même ton richard de père te renierait.

  Les yeux de Sabine ne peuvent pas empêcher d'exprimer l'effroi qu'elle ressent. Pourtant, elle reste maîtresse d'elle-même et dit d'une voix qui se veut neutre :

- Tu bluffes. Tu mens juste pour essayer de me faire peur et de continuer ton sale petit chantage médiocre.

- Ah ouais ? Et ce que t'as fait la semaine dernière, c'est du bluff ? Alors, tu ouvres bien grand tes oreilles et tu enregistres ce que je vais te dire : tu me paies, je me la boucle, et tu n'entendras plus jamais parler de moi. Sinon, j'ai une autre proposition pour toi : si tu ne me paies pas, ton secret sera révélé au monde entier en moins de trois jours. Alors, tu paies ou tu ne paies pas ?

  Sabine jette un regard noir à Sam avant de lâcher comme une pierre de lapidation :

- C'est d'accord. Mais retiens une chose : je ne suis pas prête d'oublier ça. Alors, sois bien sur tes gardes, Sam Duguonlais.

  Et Sabine s'en va, l'air furax.

LPM - La mort a tournéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant