Capri c'est fini!

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Nous sommes assis à la table d’un grand restaurant, le Select. Pour avoir la chance de poser ses fesses sur l’un de ses merveilleux fauteuils, il faut soit avoir de bonnes connaissances soit s’y prendre plusieurs mois à l’avance. C’est confortable et très intimiste, ce n’est pas pour rien que ce restaurant est réputé. Pour l’occasion, je porte ma plus belle robe noire moulant mon corps à la perfection. J’ai pris la peine de passer chez le coiffeur et c’est bien l’une des rares fois où je laisse mes cheveux détachés. Des chandelles sont disposées au centre de la table, un bouquet de roses blanches décore la nappe ivoire, tandis que la musique d’ambiance donne un petit côté cocon au lieu. Tout est réuni pour rendre l’atmosphère romantique et passer une merveilleuse soirée. Je remarque que Jonathan est très tendu face à moi. Il ne cesse de jouer avec ses couverts et de fuir mon regard. Il est très beau comme à son habitude. Il porte un costume sombre et une chemise assortie qui contraste élégamment avec son teint nacré. Une peau aussi claire que de la porcelaine et un regard aussi sombre que l’ébène, je le trouve terriblement beau, comme lors de notre première rencontre.
— Alors comment s’est passée ta journée ? tenté-je pour alléger la conversation.
— Bien, bien.
Il ne répond que par des monosyllabes, n’engage pas de réelles discussions et son manque d’enthousiasme à ce repas me fait légèrement peur. C’est vrai que ces derniers temps nous avons dû essuyer pas mal de disputes, mais quel couple ne passe pas par là ? Après un an de relation, il est logique que de petits conflits viennent troubler le quotidien, et je sais que la question sur notre lieu de résidence n’y est pas pour rien. Je refuse d’emménager chez lui pour la simple et bonne raison que je dois rester à proximité de ma mère pour m’en occuper. Il ne le comprend pas mais, finalement comment le pourrait-il ? Je devrais commencer par lui expliquer les raisons de son état et je n’en suis toujours pas capable. J’ai bien essayé de lui demander de venir habiter avec moi, mais il est aussi borné qu’une mule et n’est pas décidé à céder.
— Jonathan, qu’est-ce qui cloche ?
Alors que j’essaye de percer le malaise qui persiste depuis le début du repas et d’attraper sa main pour le ramener à moi, un serveur se présente à nous et dispose nos desserts. Mais ? Je n’ai pas encore commandé…
— Emilie, aujourd’hui ça fait un an que nous sommes ensemble.
Oh merde ! Un an aujourd’hui ? Et voilà, je commence à zapper certains détails… Je note tout, programme des alertes, je colle des Post-it. Tout ça dans l’unique but de ne rien oublier. Tout est répertorié dans mon agenda, j’ai des rappels pour tout, du réveil le matin jusqu’à l’heure de ma pilule le soir, sans compter ceux qui concernent les nombreux coups de fil que je dois passer au cours de la journée. Et pourtant, là, j’ai oublié !
Il ne faut pas que je me focalise là-dessus, ces derniers temps au travail j’ai eu pas mal à faire.
C’est ça, c’est l’unique raison de mon oubli, tenté-je de me rassurer.
Se pourrait-il que Jonathan soit enfin prêt à faire sa demande ou bien qu’il ait pris la décision de s’installer chez moi ? Comme une gamine un matin de Noël, je trépigne d’impatience et je souris à m’en faire décrocher la mâchoire. Je le laisse parler, dans l’attente de sa déclaration.
Une fourchette à la main, je commence à piquer dans le dessert gourmand qui se trouve face à moi. Un moelleux au chocolat, mon préféré ! Précautionneusement, je plante mon couvert à la recherche d’une éventuelle bague.
— Durant cette année, on a traversé pas mal d’épreuves. Parfois des bons moments, mais aussi des étapes compliquées.
J’opine tout en continuant de torturer ce malheureux gâteau en soupçonnant le serveur d’avoir volé la bague à l’intérieur.
— Le problème, c’est que je ne suis pas réellement sûr de pouvoir continuer comme ça, m’avoue-t-il, gêné.
Ses mains s’entrelacent l’une à l’autre. Son regard me fuit de nouveau et ses joues se teintent d’une couleur rosée qui ne me dit rien qui vaille. Rien que le ton de sa voix m’interpelle et suffit à m’inquiéter.
— Oui, justement, je pense qu’on a fait le plus dur, hasardé-je pour le rassurer.
Je tends ma main dans sa direction et essaie de me saisir de la sienne mais il m’esquive. Je suis en alerte face à son comportement et sens mon cœur s’emballer dans ma cage thoracique. Pourtant, je reste confiante, il doit simplement être stressé, dans un sens je le comprends, ce genre de demande n’est jamais facile. Et si je disais non ? C’est sûrement ça, il a peur de ma réponse !
— C’est possible, mais ton besoin constant de tout contrôler m’horripile de plus en plus, Em’. C’est trop difficile de continuer, tu m’oppresses, avec toi j’ai l’impression de manquer d’air et de ne plus réussir à respirer. Je ne sais pas comment te dire ça…
Non… Ne me dites pas qu’il va me larguer… Ce n’est pas possible…
Mon sourire qui était aussi éclatant que dans une pub pour du dentifrice commence à se faire la malle. J’appréhende ce qu’il s’apprête à me dire et un sentiment d’angoisse s’empare peu à peu de mon être. Je n’attends qu’une chose : qu’il soit plus clair.
— Bah dis les choses tout simplement.
— J’ai rencontré quelqu’un, dit-il, honteux.
À cette simple phrase, ma gorge s’obstrue. Je sens une énorme boule se former dans ma trachée et des larmes affluer à mes yeux. Je tente de les réprimer, ce qui accentue la douleur qui continue de se propager dans mon corps. Mes mains tremblent, ma vue se trouble, et je fais mon possible pour me contrôler et ne pas exploser. Ai-je rêvé ses paroles ? Peut-être que je comprends tout simplement mal ce qu’il essaie de m’expliquer ? C’est sûrement ça !
— Qu’entends-tu par « j’ai rencontré quelqu’un » ?
— Je suis amoureux Em’, mais ce n’est plus de toi. Tu es trop prévisible, trop parfaitement organisée. Tu notes tout, tu définis ta vie selon ta petite liste sans laisser place à l’imprévu. Je n’en peux plus. J’avais besoin de fun dans cette vie trop bien rangée. Ça m’est tombé dessus, j’ai rien vu venir.
— Bah ouvre les yeux la prochaine fois ! Ça t’évitera de prendre des choses en pleine face !
— Écoute, Caroline m’apporte ce dont j’ai besoin, elle me rend heureux. Je te jure qu’on avait rien calculé, c’est venu naturellement et je ne peux plus nier les sentiments que je ressens pour elle. Rester avec toi serait hypocrite.
— Attends, tu parles de la Caroline que je connais ? Tu veux dire, LA Caroline qui est également ta nouvelle assistante, celle-là même qui a dix ans de plus que toi ?
— On s’en fout de l’âge tu sais. Maintenant la mode est aux cougars, qui l’aurait cru ?! me dit-il avec un sourire.
Ne fais pas d’esclandre, ne fais pas d’esclandre, me répété-je.
C’est trop dur ! Je n’arrive pas à contenir tout ce flot de haine que je ressens à présent pour cet homme. Et le voir sourire ne fait qu’accentuer la colère qui se propage en moi. Il y a à peine quelques minutes, j’espérais qu’il me demande en mariage et me voilà face à lui avec une soudaine envie de lui foutre mon poing dans la face, ou même pire, de saisir ce joli couteau argenté qui se trouve près de ma main et qui me supplie de le lui planter en plein cœur. Car oui ! Là c’est exactement ce que je ressens ! Un énorme coup de poignard.
N’arrivant plus à me contenir, je décide de ne pas laisser mon envie de meurtre prendre le dessus, pas sûr que la prison me convienne après tout ! J’éloigne donc ma main du couteau et me lève complètement furax pour me saisir du verre d’eau qui trônait sur la table devant moi et je lui jette en pleine face. Trempé, il se redresse aussitôt et analyse ses vêtements mouillés d’un mauvais œil.
— Mais t’es complètement malade !
— Tu voulais de l’imprévu ? En voilà ! Pauvre con ! Un an de ma vie que j’ai perdu avec toi.
Sa colère grandit, je le vois à la manière dont ses poings se contractent contre son corps et comment sa chemise se tend sous sa veste. Il fulmine et réfléchit aux paroles qu’il me crache quelques secondes plus tard, assez haut pour que tout le monde l’entende :
— Un an de perdu… Et ouais, je t’ai fait perdre du temps sur ton précieux planning. Car avec Mlle Emilie Moreno, tout est programmé, jusqu’au soir où nous devons nous envoyer en l’air. Aucune place à l’imprévu, aucune place au fun ! On se fait chier !
Son ton acerbe me percute en plein dans l’estomac comme un coup qu’il m’aurait porté à l’aide de ses poings. La douleur que j’aurais ressentie s’il m’avait frappée n’aurait rien été comparée à ce que j’éprouve à cet instant. Tous les visages se sont tournés vers nous. Notre petite scène ne leur a pas échappé et les a même intrigués, et moi comme une gourde, debout face à lui, je suis complètement humiliée et n’arrive pas à répliquer à son attaque.
Je tourne les talons. Quitte la table sans demander mon reste et me précipite rapidement à l’extérieur. Une fois sortie du restaurant, je me laisse choir contre la façade et évacue tout le flot de sentiments que je contenais jusque-là. Les larmes inondent mes joues, et les sanglots que je réprimais me saisissent à la gorge et s’expriment de manière bruyante et désordonnée. Je suis pathétique, mais heureusement j’ai réussi à garder la face devant lui. Dans quelques semaines j’aurais trente ans et me voilà seule, célibataire et complètement déprimée.

Pour le meilleur ET pour le pireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant