✓7. Déesse oraculaire

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S'imaginer en
tant que divinité




Les mortels entretiennent, quelles que soient leur couleur et origine, des inquiétudes communes, perpétuelles : celles de richesse, d'aisance et de paix.
Cette quête du bonheur idéal les amène à faire des choix risqués : se battre pour atteindre cet objectif suprême, ou regretter de ne pas avoir choisi de se battre, geindre, se morfondre et finalement, se laisser happer par la mort, sans jamais réussir ce pour quoi ils se sont fixé une raison de vivre.

Mon nom est Anaka'noana.

Sortie de la côte droite de Zilwanja, ma mère, la déesse aux yeux d'argent, j'ai hérité de son pouvoir de divination. Je suis une déesse oraculaire, celle que les mortels vénèrent afin de percer le mystère de ce qui échappe à leur esprit : l'Avenir.

Mes prédictions sont les mêmes depuis des milliers d'années.

J'annonce encore et toujours ce qui est devenu pour moi un refrain séculaire.

Seulement, ils ne s'en lassent jamais. Parfois, leur espoir est si grand qu'en apprenant la Vérité, ils s'en retournent plus déçus et attristés de la tournure de leur Chemin que lorsqu'ils étaient venus.

Et je reste impuissante face à cela. Je ne peux que dévoiler et lire les Signes, pas les transformer.

Ma mère a son culte au nord du royaume tandis que je règne en maîtresse absolue sur les âmes du sud.

Dans le panthéon de cette région steppeuse, aucune autre divinité n'a pour fonction de prédire l'avenir si ce n'est moi. Alors dès l'aube, ils accourent. Ils inondent les rues du centre et des extrémités des villes, et se déplacent pour la bordure de mer où est édifiée ma sainte demeure. Je les entends qui accourent sur les marches. Ils se présentent à moi, fiévreux de savoir où les entraîne le Grand Courant. Ils ne craignent ni ma terrifiante taille, ni la noirceur de ma peau. Ils se tiennent si près de moi que j'ai le sentiment d'être une étoile immense auréolée de fragiles astéroïdes.

Les métayers m'apportent la dixième part de leur meilleure récolte, les couturiers, leurs plus belles étoffes. Les offrandes profusent, les libations de lait, de liqueur de rose et de miel rouge coulent sur mes autels en marbre.

Munis des douze pierres sacrées, le grand mage et ses suivants marchent en direction de la chaire du temple.

Sous mon trône de fer, ils s'asseyent en tailleur et s'en entourent, le dos droit et raide. Puis, les doigts triturant de longs chapelets en bois, leurs lèvres frémissent des paroles auxquelles eux et moi avons seuls accès.

Lorsque leurs voix abandonnent les prières sourdes afin de réciter les versets incantatoires, la coupole se bonde de sifflements perçants, de vibrations exaltées, d'une symphonie mystique, surnaturelle, que les fidèles écoutent en silence avant de se prosterner comme un seul homme, front et mains appuyés dans la poussière blanche du ciment. Le culte du matin commence.

Ils se relèvent trois fois d'affilée et se mettent au chant, de même que les mages qui, formant une ronde autour de moi, émeuvent les cantiques en mon nom. Les clameurs montent en chœur. Je les discerne toutes autant qu'elles sont. Chacune d'entre elles est empreintée de désirs profonds et dans quelques tons plus aigus que d'autres, plus lancinants, je peux y ressentir une grande souffrance.

J'ouvre mon troisième œil.

Il sonde le sable infini, le vent bavard des campagnes, les nénuphars des marais, les lits des fleuves, les sommets des montagnes, tout ce qui se cache, bruit ou souffle car chaque infime particule de ce monde contient une partie du destin des hommes ; chaque terre, leurs futurs pas et même s'ils ne sont pas en connaissance de leurs prochaines destinations, la nature, elle, le sait et je la consulte nuit et jour.

Un silence religieux surgit lorsque je descends de mon trône pour me mêler à la masse des croyants.

Tour à tour, je raconte ce que j'ai vu de leur avenir, des confidences des esprits aux tourments révélés des bêtes des champs.

Qu'il soit bon ou mauvais, je leur accorde mes bénédictions en leur insufflant mon énergie spirituelle. Certains sont beaucoup trop faibles pour affronter ce qui les attend.

Ils chantent à nouveau, se prosternent, se redressent et battent des mains. Au centre de leurs acclamations, je danse, je tourne sur moi-même, me laissant étourdir par la beauté de leurs sublimes louanges et lorsque le culte arrive à sa fin, le temple se déserte peu à peu jusqu'à retrouver son vide habituel, ma solitude glaçante.

Les humains qui m'adorent sont mon plus beau réconfort.

Du 07 au 09/10/18

J'avoue ne pas avoir écrit ce texte en un jour, comme il est de consigne. J'ai eu à faire des recherches pour ce travail et découvrir dans quelques mythologies, les cultes des divinités. Je me demandais si je devais le bourrer d'informations ou simplement me laisser aller, en m'imaginant trois fois plus grande avec une peau nettement charbonneuse et des pouvoirs magiques. J'ai opté pour la deuxième
et ça s'est bien passé. Le rendu n'est peut-être pas extra, mais je suis assez fière de l'avoir un peu réussi.

LA TOMBÉE DES MOTS ˢˡᵒʷ ᵘᵖᵈᵃᵗᵉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant