Chapitre 2 :

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Je suis sortie de classe, dépitée. J'avais eu le droit à un sermon du directeur. J'ai dit au revoir de la main à Marie et Adélaïde. Alors que je songeais à faire un détour pour aller admirer les garçons au lycée homme de Francville, je l'ai vue. Elle, la fillette muette de ce matin. Enfin muette, je ne sais pas, mais peu causante en tout cas. Elle me fixait sans bouger. Je me suis approchée d'elle.
« Bonsoir. Écoutez, mère m'interdit de parler aux inconnus, mais je tenais à m'excuser pour ce matin. Je n'aurais pas dû courir comme ça. »
Elle m'a fixé de plus belle.
« Vous savez, j'ai continué, ce n'est pas très poli de ne pas répondre ! Mère dit que quand on nous pose une question on se doit d'y répondre surtout si c'est un adulte qui nous la pose. Alors oui je vous l'accorde je ne suis pas un adulte mais quand même, vous pourriez répondre ! »
Elle s'est brusquement tournée et a commencé à courir en direction du centre ville.
« Eh, attendez ! »
J'ai soupiré avant de la suivre, abandonnant mes beaux projets d'espionnage.
« Ralentissez au moins ! »
Elle m'a obéi et bientôt, j'étais à sa hauteur.
« Merci. Mais où allons n... »
Elle m'a arrêté en plaçant un doigt sur ma bouche.
« Chut », a-t-elle murmuré.
Alors je me suis tue. Je l'ai suivie à travers la ville sans un mot. Je ne savais ce qui me poussait à avancer, mais c'était ainsi, je ne pouvais me détacher de son attraction.
Elle m'a menée à la gare. Elle s'est assise sur le banc et a attendu que je la rejoigne. Pendant un moment, aucune de nous deux n'osa parler. Ensemble on admirait un train passant au loin. Puis, elle a commencé à me parler. D'abord à voix basse, puis presque en criant comme se délivrant d'un poids invisible qui pesait sur elle.
« Petite, mon père m'emmenait souvent ici. Il me murmurait qu'un jour, il m'emmènerait en voyage au bout du monde. Alors je fermais les yeux et je m'imaginais ce que ça ferait d'être de l'autre côté du verre. Je m'imaginais les pays merveilleux que je verrais, les montagnes, la mer à travers le verre. J'imaginais mon père, riant aux éclats, le soleil lui réchauffant le cœur. Je n'ai jamais pensé descendre de ce train. Non, pour moi ce qui importait c'était le voyage, la sensation de voler sur ces rails tandis qu'au-dehors apparaîtrait les plus beaux endroits du monde. Et chaque fois, je me tournais vers lui et lui murmurais, " quand est-ce que l'on part papa ", et lui me répondait, " bientôt Théa, je te le promets ". Alors j'attendais, sans me plaindre, sans râler croyant que chaque jour me rapprochait de ce voyage merveilleux. Et puis il est parti. Sans moi, sans le train. Il est parti. Elle se tut. Son émotion n'avait pas besoin de mot pour me parler.
De chaudes larmes coulaient sur ses joues.  Alors, je l'ai prise dans mes bras, j'ai séché ses larmes.
« J'avais besoin de le dire. Je suis désolée que ça soit tombé sur toi, mais quand je t'ai vu ce matin, j'ai eu l'impression que tu étais un signe divin. Je ne t'attendais pas et pourtant tu es arrivée quand même. Ce matin, tu dégageais une aura particulière qui m'a de suite attirée. Pourtant, je ne voulais pas en parler, je pensais que mes problèmes n'intéresseraient personne. Je comptais l'attendre là, sans un mot. »
Je l'ai regardée en silence.
« Mais en fait, je sais qu'il ne peut me rejoindre. Alors ce sera à moi de le rejoindre. »
Elle s'est levée et avançait vers la voie. Et elle est montée à bord d'un train. J'ai observé son visage à travers le verre. Je l'ai vu s'asseoir et attendre le départ. J'ai vu son regard croiser le mien. Et j'ai vu mes larmes imiter les siennes. Le train s'est mis en marche lentement. Je me suis levée et j'ai couru à sa suite. Et là, à travers le verre, j'ai vu sa joie, sa joie de savoir enfin ce que cela fait de partir en train pour une destination inconnue. Elle réalisait enfin son rêve. Et pourtant je n'ai pas pu m'empêcher de lui crier :
« Non ! Théa, reviens. Ne fais pas ça Théa, ne le rejoint pas. »
Je n'ai plus jamais vu cette fillette, mais jamais je n'oublierai la vision de ce train partant au loin. Jamais je n'oublierai ce que ce jour-là, j'ai vu à travers le verre.

Through the glassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant