Sans voix, sans mémoire

Où suis-je?

Elle ouvre les yeux. D'abord timidement, puis en grand. Le plafond est si blanc, si éclatant... elle en a mal aux yeux.

Où est-elle?

Elle ne sait pas, cette salle, cette chambre visiblement, au plafond si aveuglant et aux murs si clairs ne lui dit rien.

La jeune fille s'efforce de se souvenir de ce qu'il s'est passé avant qu'elle ne s'endorme. Mais c'est le trou noir. Un vide horriblement... vide emplit sa tête et son esprit déjà agités.

Un vide emplit... belle oxymore.

Du calme... Du calme... Comment s'appelle-elle?

Son prénom. Quel est son prénom?

La panique la submerge tout-à-coup, telle une vague destructrice. Ne pas savoir où l'on est est une chose. Ne pas se rappeler de faits passés en est une autre. Mais ne pas connaître son propre prénom est quelque peu alarmant.
Elle tente de faire venir un mot, un nom, n'importe lequel, une syllabe serait un bon début. Mais rien. Le trou noir.

Il va te revenir.

Elle regarde plus en détails la chambre dans laquelle elle se trouve, pour se calmer. Un bureau blanc, une multitude d'étagères de la même couleur qui semblent crouler sous le nombre de livres et de dictionnaires, une armoire et un miroir rectangulaire. Tiens d'ailleurs, à quoi ressemble-t-elle?

Elle se lève du lit moelleux et bascule précipitamment les jambes dehors. Aussitôt, un vertige la prend et la force à ralentir le rythme. Sa tête tourne tellement qu'elle a l'impression qu'elle joue à la toupie. Le parquet de bois clair devient plafond et inversement. Quand elle est sûre que la toupie a cessé de tourner, elle se met sur ses jambes et se poste devant le miroir.

Une jeune fille pâle, grande et mince, presque maigre, lui fait face. Ses cheveux bruns, longs et bouclés encadrent un visage mince aux pommettes saillantes, au nez légèrement retroussé et des yeux en amande... Elle s'approche un peu plus pour être sûre qu'elle ne rêve pas. Oui oui, c'est bien ça, des yeux en amande jaunes.

Elle fronce les sourcils. Elle ne se souvient de rien, certes, mais est-ce que de tels yeux existent réellement? Est-ce que ce ne serait pas une mauvaise blague qu'on lui fait? Oui c'est ça, c'est forcément une mauvaise blague, on lui a administré une puissante drogue, elle va se rappeler de tout d'un moment à l'autre et on lui dira qu'on lui avait mis des lentilles de couleur.

Bon. En tout cas elle fait peur à voir. Maigre et pâle comme la mort. En bougeant les épaules elle sent un léger tiraillement et baisse le tissu de son pyjamas. Une cicatrice assez fine en forme de cercle lui décore l'épaule gauche.

Tout-à-coup, elle entend des pas à l'extérieur, des pas de femme à l'ouïe. Elle s'empresse d'ouvrir la porte et regarde qui vient. Une femme monte les escaliers et stoppe en la voyant, ses yeux marrons écarquillés de surprise. Elle a les cheveux coupés courts blonds et lisses.

-Chérie? fait-elle. Tu es réveillée.

La jeune fille ouvre la bouche pour lui demander qui elle est mais quand elle essaie de parler, aucun son ne sort. Elle écarquille les yeux, complètement paniquée, et met une main sur sa gorge en tentant à nouveau de dire quelque chose.

-Que se passe-t-il? Tu as mal à la gorge?

Si ce n'était que ça! Elle ne peut pas parler!

Résignée, elle se précipite dans la chambre qu'elle vient de quitter et cherche des yeux une feuille et un stylo. Elle trouve tout de suite sur le bureau bien rangé et écrit à toute vitesse.

-Qu'est-ce que tu fais? Je peux savoir pourquoi tes yeux sont jaunes?

La femme la regarde avec inquiétude. Sans se laisser démonter, la jeune fille termine ce qu'elle fait, pose le stylo et lui tend la feuille. Perplexe, la femme la prend et lit:

Excusez-moi, je ne peux pas parler... Qui êtes-vous?