6. Passages secrets (version éditée)

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Peu de temps après, Brynn apporta un plateau avec un repas consistant à sa maîtresse.

— Brynn, je ne vais jamais pouvoir manger tout ça ! C'est beaucoup trop !

— Il faut que vous repreniez des forces, damoiselle. Vous avez perdu beaucoup de sang et la fièvre a bien failli vous emporter.

— C'est terminé maintenant, je suis guérie. Arrêtez de tous vous faire du souci pour moi !

— Votre mère voulait monter, mais elle doit faire l'inventaire des provisions avant l'arrivée de nouveaux Normands.

À ces mots, Alinor tressaillit.

— Quels Normands ? D'autres troupes doivent arriver ?

— Je n'en sais rien, damoiselle. Un messager s'est présenté pour annoncer au baron de Fougères que des émissaires allaient passer par Thurston.

— Brynn, trouve Geoffroy. Dis-lui d'essayer de se renseigner et de venir me voir.

— Qu'avez-vous en tête, ma petite ? N'allez pas vous mettre dans les ennuis, hein ?

— Ne t'inquiète pas, Brynn, je veux juste savoir ce qu'il se prépare. Mieux vaut connaître l'ennemi afin de pouvoir anticiper ses actions.

— En attendant, mangez, Alinor ! Je reviendrai tantôt reprendre votre plateau.

La jeune fille fit honneur au ragoût de viandes et de légumes. Il était goûteux et parfumé, si bien qu'elle se délecta à essuyer son écuelle avec le pain encore chaud. La croûte était dorée à point et craquante. Elle se versa un verre d'ale pour étancher sa soif. Une fois son repas terminé, elle prit le cruchon recouvert d'un linge ainsi que la coupe contenant des pommes, puis les posa sur la table de sa chambre près de la fenêtre. Elle aurait ainsi un encas pour plus tard dans la journée. Ensuite, elle déposa le plateau par terre dans le couloir. Fatiguée par sa petite séance d'entraînement du matin, elle s'allongea et ne tarda pas à s'endormir.

En milieu d'après-midi, elle fut réveillée par un bruit insistant. Quelqu'un toquait à sa porte. Elle se redressa sur les coudes et lança :

— Qu'est-ce que c'est ?

— C'est moi, Geoffroy.

— Entre !

Le jeune homme se précipita pour s'asseoir à côté de sa sœur sur le lit.

— Tu m'as fait mander ?

— Geoffroy, que se passe-t-il ? Brynn m'a dit que d'autres Normands allaient arriver ?

— Ils sont déjà là !

— Je n'ai pas entendu de troupes approcher. Il n'y a pas eu de remue-ménage dans la cour !

— Il ne s'agit pas d'un détachement, du moins, pas encore ! Ce sont des envoyés du duc bâtard.

— Sais-tu pourquoi ils sont venus ici ?

— Non, mais messire de Fougères leur a donné l'hospitalité pour cette nuit et ils étaient porteurs de parchemins. Je les ai vus quand ils sont allés s'enfermer avec lui dans le bureau de papa.

— Tu sais ce qu'ils se sont dit ?

— Nenni. Je n'ai pas pu écouter à la porte, il y avait des gardes.

— Sais-tu combien de temps ces envoyés vont rester ?

— Non. Mais à mon avis, ils repartiront demain, car le baron a demandé à maman de leur faire préparer une paillasse pour cette nuit. Il n'a pas précisé pour plusieurs nuits.

— Très bien, alors laisse traîner tes oreilles. Ils vont sûrement manger avec messires Gautier et Thibaud, ils discuteront peut-être de choses intéressantes.

— Compte sur moi, Ali !

— Moi, je vais essayer de savoir ce que contiennent ces parchemins.

— Comment vas-tu faire avec les gardes ?

— Tu oublies les passages dans les murs...

— Mais oui, c'est vrai ! Il y en a un qui débouche dans le bureau ? Tu sais où se trouve le panneau ?

— Oui, papa me l'a montré le jour de mes dix-sept ans.

— Sois prudente, Ali !

— Ne t'en fais pas, Geoff.

Dès que son frère eut quitté la chambre, Alinor enleva son surcot. Elle alla fouiller dans le coffre qui renfermait ses habits de travail. Alinor, comme toute fille de riche seigneur, possédait plusieurs coffres pour ranger sa garde-robe. Mais elle en gardait un spécialement pour mettre les vieux vêtements qu'elle utilisait pour les tâches salissantes et son équipement de chevalier. Elle en sortit une robe brune élimée qu'elle revêtit à la hâte, ainsi qu'un tablier. Elle natta ses cheveux en deux tresses serrées, puis les cacha sous un fichu blanc. Ainsi vêtue, elle pouvait se fondre parmi les serviteurs. Les gens du fief pourraient la reconnaître, mais elle passerait inaperçue aux yeux des Normands.

En premier lieu, elle décida de descendre dans les cuisines. Elle prit le plateau avec les restes de son repas et emprunta l'escalier nord pour rejoindre le rez-de-chaussée. La forteresse de Thurston était une construction imposante en pierres. Contrairement à la plupart des places fortes saxonnes, elle n'était pas construite essentiellement en bois. Seules les palissades extérieures l'étaient, et encore elles ne l'étaient qu'en partie. S'inspirant des châteaux normands et francs qu'il avait visités alors qu'il était un jeune chevalier, le thane de Thurston avait continué les modifications apportées, par son père avant lui, à la structure de la forteresse initiale. La double enceinte en rondins reposait sur des soutènements en pierres, un fossé était creusé autour des remparts ainsi constitués et rendait l'attaque des fortifications plus difficile. Le donjon de trois étages, initialement construit en bois, avait été remplacé par un autre de base rectangulaire avec de solides fondations en granit. Beaucoup plus grand que l'ancien, il était flanqué de quatre tours crénelées, une à chaque angle. Elles abritaient les escaliers qui permettaient d'accéder aux quatre niveaux. Les parois étaient si épaisses qu'il était impossible de se rendre compte depuis l'extérieur, qu'il y avait des corridors secrets entre certains doubles murs. Ces passages desservaient diverses pièces du donjon : le solarium au dernier étage, la chambre de Geoffroy et celle d'Alinor à celui du dessous. Au deuxième, les appartements seigneuriaux et la chambre d'Edwin étaient également accessibles. D'autres passages dérobés aboutissaient dans le bureau du seigneur et l'armurerie au premier ainsi que dans le petit réduit servant à stocker le linge entre les cuisines et la salle commune. Les escaliers des tours nord et sud étaient utilisés essentiellement par les serviteurs, car ils étaient étroits, du fait de l'existence de deux colimaçons qui serpentaient dans la double cloison.

Alinor descendit au rez-de-chaussée, puis entra dans l'immense cuisine. Un gros feu flambait dans l'énorme cheminée alors que des morceaux de viande cuisaient dans divers chaudrons, répandant une bonne odeur. Les domestiques qui s'activaient à la préparation du repas la reconnurent et se précipitèrent vers elle avec des exclamations de joie.

— Damoiselle, nous sommes tellement heureux de vous revoir enfin en bonne santé ! s'exclama Merien la cuisinière.

Inquiète de voir arriver des gardes normands, Alinor, un œil fixé sur la porte qui menait à la grande salle, leur fit signe de parler plus bas et leur expliqua qu'elle ne voulait pas que les Normands connaissent son identité. Les serviteurs, comprenant sa crainte, obéirent aussitôt. La jeune fille eut un petit mot gentil pour chacun tout en les remerciant de s'être inquiétés pour elle. Elle quitta ensuite la cuisine, prit une pile de linge dans le réduit et s'avança avec prudence vers l'entrée de la pièce commune.

Combat d'amour - Tome 1 [ 2018 ADA Editions - 2023 auto-édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant