État de New York.
— Comment allez-vous, aujourd'hui, Brandon ?
Je hais cette question.
Nerveusement, je m'agite dans mon fauteuil avant de me caler contre le dossier. Mes doigts tambourinent sur l'accoudoir en un rythme régulier. J'essaie de gagner quelques secondes avant d'affronter la réalité. Je fuis le regard scrutateur de ma psy et focalise mon attention sur le jardin japonais miniature posé sur son bureau. Depuis deux mois, je rencontre cette femme une fois par semaine sans constater de progrès : j'ai peur de mon ombre, le moindre bruit me fait sursauter et mes cauchemars persistent.
Mon esprit a dû se perdre un peu trop longtemps, car sa voix m'interpelle.
— Brandon ? Vous ne souhaitez pas répondre ?
Chacune des séances commence de la même manière. Et ma réponse à cette question reste invariablement similaire.
— Je vais bien, soufflé-je, laconique.
La pièce est silencieuse, seul le crissement de son stylo sur le papier vient perturber la quiétude du bureau. Ce bruit, je l'ai en horreur. Il me fait l'effet d'une craie qui grince sur un tableau noir. J'ai conscience qu'elle n'est pas dupe de mon petit manège, mais si j'exprime ce que j'ai sur le cœur, je risque d'ouvrir la boîte de Pandore et de me retrouver encore plus mal que je ne le suis actuellement.
Elle finit par relever la tête et son regard se pose sur ma main qui continue de marteler l'accoudoir. Instinctivement, j'arrête mon mouvement et plaque ma paume contre ma jambe. Je ne dois pas lui montrer le moindre signe de nervosité, elle risque d'y voir une brèche et de s'y engouffrer pour fouiller dans mes angoisses.
— Faites-vous encore des cauchemars ?
— Oui.
Chaque nuit, je me réveille en hurlant, le corps trempé de sueur et les jambes entortillées dans les draps à force de me débattre. Quand mon esprit se reconnecte à la réalité, la nausée me submerge, car je me dégoûte d'être incapable de surmonter cette épreuve. J'en ai marre d'entendre tout le monde me dire que Rome ne s'est pas construite en un jour et qu'il me faut du temps pour me remettre de ce que j'ai subi. Je me fous de leur baratin. Tout ce à quoi j'aspire est de savoir quand ce calvaire va s'arrêter.
— Avez-vous pris contact avec la psychologue qui vous suivait en Californie ?
— Pas encore.
Son regard se plante dans le mien, le visage vide de toute expression. Elle insiste :
— Il faudra y songer rapidement et me prévenir afin que je lui transmette votre dossier.
— Je le ferai.
Elle marque une pause dans son interrogatoire, le temps d'ajouter une ligne à sa longue liste d'observations, puis reprend, le stylo suspendu au-dessus de sa feuille :
— Avez-vous des nouvelles de vos amis de l'université ?
— Je suis en contact avec Hayley.
— Pas avec les autres ?
— Non.
— Pourquoi ?
Je hausse les épaules.
— Disons que je les sens mal à l'aise et que je préfère éviter la situation humiliante où aucun d'entre nous ne sait quoi dire au téléphone.
— Selon vous, pourquoi seraient-ils embarrassés ?
— C'est simple. En général, quand quelqu'un se fait tabasser, les gens ne savent plus quoi lui dire, mis à part les insupportables « je suis désolé » ou « comment te sens-tu » ? Ils prennent des pincettes de peur de dire quelque chose qui ferait resurgir une terreur chez leur ami, ou de faire une mauvaise blague. Bref, même si mes amis pensent bien faire, leur comportement m'agace, alors je préfère ne pas leur parler pour l'instant. Et puis je n'ai pas envie de les embêter avec mes problèmes.
— Je sens de la colère dans vos propos.
Sans déconner, bravo pour ta clairvoyance, doc !
— Je ne fais que constater des faits.
— Ne pensez-vous pas que le problème pourrait venir de vous ?
C'est quoi cette question à la con ?
— C'est-à-dire ? demandé-je sur la défensive.
— Peut-être sont-ils mal à l'aise parce qu'ils devinent que vous vous renfermez !
Je préfère couper court.
— Je reprendrai contact avec eux sur place.
J'ignore la raison pour laquelle je ne lui explique pas qu'Hayley et Beverly ont prévu qu'on vive en colocation. Je n'ai jamais réussi à me livrer à elle. Mon comportement ne me fera pas avancer, mais c'est plus fort que moi, j'éprouve le sentiment d'être un moins que rien en lui racontant tous les détails de ma vie. Et puis elle a cet air impénétrable, dès que je lui annonce un truc, qui me donne l'impression d'être tout le temps jugé. Sans le pacte passé avec mes parents, j'aurais arrêté de la voir depuis longtemps. Je leur ai promis de poursuivre mes visites chez le psy et, en échange, ils ont accepté que je retourne à L.A. pour reprendre mes études.
— Êtes-vous angoissé de retourner en Californie ?
Oui.
— Non.
Son stylo reprend sa course folle dans mon dossier.
— Les douleurs découlant de vos blessures persistent-elles ?
— Oui. Essentiellement à la tête. Mais le neurochirurgien qui me suit n'est pas inquiet. Selon lui, la situation est normale. Les élancements devraient s'atténuer avec le temps.
— Êtes-vous toujours sensible à la lumière ?
— Seulement quand le ciel est dégagé et que le soleil tape.
Elle hausse un sourcil interrogateur.
— Ça risque de poser un problème en Californie...
— Heureusement pour moi, j'ai de bonnes lunettes de soleil, rétorqué-je sur le ton de l'humour.
— Hum... Souhaitez-vous aborder un sujet en particulier, aujourd'hui ?
Non.
Mon unique préoccupation est de savoir quand ces séances prendront fin !

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Black Riders - girl crush
Romanceà la Suite de leur mission sauvetage pour récupérer Hayley et Brandon des griffes des Hell's Eagles, les Black Riders se doutent que le club adverse n'a pas dit son dernier mot et qu'il pourrait préparer une attaque d'envergure à leur encontre. Pop...