Brandon

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Mes parents ont tenu à m'accompagner à l'aéroport, je leur fais donc un signe de la main en guise d'au revoir puis tire ma valise en direction du comptoir des enregistrements. L'hôtesse de la compagnie aérienne m'accueille d'un sourire mécanique alors que je lui tends mon billet.

Une fois les formalités accomplies, je m'oriente vers la zone d'embarquement, sans jeter un regard vers mes parents restés en retrait. Je ne suis pas d'humeur à affronter leurs visages inquiets. Et surtout, la tentation de faire demi-tour est trop grande pour qu'ils ne la lisent pas sur moi.

Tout au long de l'été, ils m'ont répété que, si je le souhaitais, il était encore possible d'effectuer mon transfert de dossier entre la Californie et l'université de New York. J'ai failli accepter, puis je me suis dit que retourner là où ma vie s'est arrêtée pourrait me faire sortir du cercle vicieux dans lequel je me suis enfermé.

Los Angeles devait être notre nouveau départ avec ma meilleure amie Hayley, le lieu où tous nos souhaits devaient se réaliser. Aujourd'hui, cette ville est la sienne. Celle où ses espoirs se sont épanouis. De mon côté, L.A. a brisé mes rêves. Elle a fait de moi un type cabossé, au sens propre comme au sens figuré. Je ne suis pas au top de ma forme physique et mon cerveau me joue des tours. J'ignore si un jour il fonctionnera à nouveau normalement. D'ailleurs, comme pour me rappeler à l'ordre, une migraine commence à se pointer.

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Une fois dans l'avion, je m'installe le plus confortablement possible. J'avale un analgésique pour faire disparaître la tension qui me vrille le crâne et place mes écouteurs dans mes oreilles afin d'atténuer les bruits environnants. Je cale ma tête contre le dossier du siège et ferme les yeux. La lumière m'est insupportable.

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Le bourdonnement du moteur fait vibrer la carcasse de l'appareil, signe que le décollage est imminent. La douleur qui me comprimait le cerveau reflue peu à peu, j'en soupire de soulagement. J'actionne ma playlist en mode aléatoire. Le destin doit avoir un humour pourri car les premières notes de Glitter in The Air s'élèvent. Je zappe. Je déteste cette chanson. Elle me rappelle tout ce que j'ai perdu.

L'avion a à peine décollé que j'appréhende déjà mon arrivée. Pour la première fois, je ne sais pas si je serai enthousiaste de retrouver Hayley. Elle est censée m'accueillir, mais cette idée me laisse de marbre. Elle a pourtant fait des efforts pour rester en contact avec moi tout l'été, mais certaines de nos conversations m'ont laissé un goût amer, particulièrement celles qu'elle écourtait car Jace venait de la rejoindre. Ces jours-là, face à ses gloussements amoureux, j'avais l'impression d'être seul à souffrir.

Je me ressaisis et chasse ces pensées injustes de mon esprit. Hayley mérite ce bonheur après tout ce qu'elle a traversé. Mais au cours de cet été, et même si j'essaie de me convaincre du contraire, un sentiment mêlant jalousie et rancune a émergé en moi à son encontre. Quelque part, ce qui m'est arrivé est sa faute. J'ai parfaitement conscience qu'elle n'y est pour rien et que le seul responsable est son salopard de beau-père. Elle aussi est une victime, mais une victime qui s'en sort bien... Je ne parviens pas à étouffer cette réflexion malsaine et elle me ronge de l'intérieur.

***

À peine l'avion atterrit-il que j'allume mon portable. Il bipe aussitôt pour m'avertir que j'ai reçu deux messages durant le vol. Le premier d'Hayley pour me dire qu'elle m'attend. Le second que j'aurais préféré ne jamais recevoir, car il me rappelle que j'ai pactisé avec le diable. Même s'il n'est pas signé, j'en connais l'expéditeur. Il ne dit qu'une chose : « Bienvenue à Los Angeles ».

Je prends mon temps pour descendre de l'appareil, comme si, inconsciemment, je souhaitais reculer le moment où je serai officiellement de retour dans cette ville.

Dans le couloir qui mène à la zone pour récupérer les bagages, je laisse plusieurs personnes me dépasser, contrairement à elles, je ne suis pas pressé.

Quand je rejoins les autres voyageurs, je constate avec dépit que la procession de valises a commencé et que la mienne est l'une des premières. Je m'empresse de l'attraper et la tire derrière moi. Il ne me reste plus qu'un petit dédale de couloirs à parcourir pour atteindre le hall de l'aéroport, là où Hayley m'attend.

La porte coulissante s'ouvre devant moi et je repère immédiatement mon amie qui, de son côté, n'a pas encore détecté ma présence. Même si son visage revêt un air serein, son tic nerveux la trahit, elle appréhende mon retour. Dès notre première rencontre, j'ai noté que, machinalement, elle pinçait le tissu de son pantalon entre son pouce et son index. Toute personne ne la connaissant pas aussi bien que moi n'y verrait que du feu. Jace pose doucement sa main sur la sienne et la presse, tout en échangeant un regard avec elle. Je grogne intérieurement en le voyant collé à elle. De toute évidence, il lit désormais en elle aussi facilement que moi.

Ce type, c'est épidermique, chaque fois que je suis à son contact, j'ai envie de retrousser les babines. Je ne parviens pas à lui faire confiance. Ce qui me fait le plus grincer des dents, c'est de voir le gilet en cuir qu'Hayley porte pour lui. Avec fierté, qui plus est. Pour moi, il s'apparente à une image avilissante de la femme. Je ne comprends pas son besoin de l'avoir sur le dos. C'est un coup à provoquer un infarctus aux féministes. De nombreuses femmes se battent chaque jour pour défendre leurs droits et mon amie de vingt et un ans affiche un gilet sur lequel est inscrit « Mon Ange, propriété de Bakers ». On vit dans un monde de dingues !

J'aurais dû me douter qu'il serait présent... Égoïstement, j'aurais aimé que, pour nos retrouvailles, nous soyons seuls. Cela m'aurait permis de croire que tout pouvait redevenir comme avant. Mais c'est impossible.

Jace me repère en premier, il avertit Hayley, qui porte son attention dans ma direction. Dès qu'elle m'aperçoit, son visage se fend d'un large sourire. Voir la joie illuminer son regard me fait me sentir coupable de toutes les idées noires que j'ai à son encontre. Comment puis-je la tenir responsable de ce qui m'arrive ?

Elle se détache de l'emprise de son mec et s'élance dans ma direction.

Sous le coup de nos deux corps qui se percutent, j'effectue un pas en arrière pour retrouver l'équilibre. Ses bras m'encerclent la taille et elle enfouit sa tête contre ma poitrine.

— Tu m'as manqué.

— Salut, Glitter Girl.

Sans me lâcher, elle pose un regard suppliant sur moi.

— Promets-moi que c'est la dernière fois que tu restes aussi longtemps loin de moi.

Des larmes ourlent ses cils. Je resserre mon étreinte autour d'elle pour lui montrer que je suis bien présent, mais aussi pour puiser une partie de sa chaleur. Le fait de la tenir à nouveau dans mes bras me rappelle qu'elle et moi partageons une amitié précieuse. Personne n'a jamais compris le lien qui nous unit, je ne suis pas certain que nous-mêmes le comprenions. Je n'ai pas fait le compte, mais je suis quasi sûr qu'elle et moi avons traversé plus de mauvais moments que de bons, c'est peut-être pour cette raison que notre amitié est si forte. Mais celle-ci est-elle vraiment indestructible ? Sera-t-elle capable de tout me pardonner ?

Pour chasser mes doutes, je l'embrasse sur la tempe, comme j'en ai toujours eu l'habitude. J'abaisse mon regard vers le sien.

— Promis.

Elle se détache de mon emprise et la mine contrariée de son mec me réjouit. On a établi une sorte de trêve plus ou moins bancale, lui et moi. Son comportement m'indique que cet accord tacite est toujours fragile. Ce type est d'une jalousie maladive, il n'a pas encore saisi qu'Hayley et moi serons toujours proches, mais que notre relation est sans ambiguïté.

— Jace.

— Brandon.

Nous nous observons tous les deux en chiens de faïence et engageons un échange muet. Ce qui n'échappe pas à Hayley qui lève les yeux au ciel et s'exclame :

— Quand vous aurez fini votre combat de coqs, on pourra peut-être songer à partir !

— On s'est juste dit bonjour, mon ange !

Pas dupe de l'air innocent de son copain, Hayley souffle, exaspérée.

— Ouais ! À d'autres...

Black Riders - girl crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant