Mercredi matin.

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Pas corrigé

Les médecins n'ont pas menti lorsqu'ils disaient qu'en seulement trois jours je ne serai plus que l'ombre de moi même. Le docteur Dong-yul continue d'appeler tous les jours à la même heure pour vérifier mon état et même si les larmes que verse ma mère en décrochant en disent bien assez, il ne perd pas espoir de voir une quelconque amélioration. Mais comme prévu, rien ne change. Enfin si, la douleur surgit beaucoup plus fréquemment qu'avant, m'obligeant à vider la plaquette en moins de quelques heures. Les comprimés ne me font presque plus rien. La morphine n'agit même plus. La souffrance qui arrache mes boyaux est inatteignable et j'ai l'impression que plus je tente de l'éteindre, plus elle se ravive. En fait, je ne fais que jeter de l'huile sur le feu. Je m'efforce de croire que ces petits bouts plastifiés m'aideront à survivre et je m'en gave mais ce ne sont que des couteaux aiguisés qui me rendent plus faible. Je n'ai pas le droit de prendre plus de trois pilules, le docteur a été formel, mais vous savez quand la mort n'est plus qu'à quelques pas de chez vous, les recommandations... vous vous en moquez éperdument. Les règles si strictes qui faisaient de moi ce que j'étais et que je me tuais à respecter ne sont maintenant plus que de stupides interdictions dont je ne tiens plus compte. Elles sont sans doute, l'une des raisons qui m'ont fait tomber malade car à vouloir toujours être trop parfait, on finit par s'épuiser.

Hier soir, j'ai pris le temps de m'observer. Pour de vrai. Pas comme toutes ces fois où je passais en coup de vent devant le miroir de la salle de bain avant d'aller prendre le bus, non. J'ai gravé mon visage et mon corps dans ma mémoire autant que je le pouvais. A quoi bon graver celui des autres si je ne me souviens même plus des fossettes creusant mes joues, de ma bouche sèche et craquelée, des poches noires sous mes yeux, de mes pupilles étincelantes dans l'obscurité? A quoi bon se rappeler des autres si je m'oublie moi même? Je me suis épié dans le reflet du miroir sur pied que renferme ma chambre. Je n'ai pas utilisé celui au dessus des vasques de la salle de bain car je voulais me voir en entier. En rentrant, maman était déjà là, et l'odeur du Yakgwa de mon enfance m'a accueilli. Pourtant je n'ai pas mangé car en voyant les biscuits fumants à côté du visage épuisé de ma mère endormie sur la table de la cuisine, je n'ai pas eu le cœur à les goûter. J'ai toujours détesté ces biscuits mais maman a toujours eu l'air si heureuse quand je les mangeais... Alors je ne les refusais jamais. Aujourd'hui je ne veux plus paraître comme celui que je ne suis pas. Je suis fatigué de mentir et de me priver pour plaire aux autres. Je ne veux plus les satisfaire. Pour une fois je veux être égoïste. Je préfère partir avec le visage déçu de ma mère en mémoire mais qu'elle ait vu ma vraie nature plutôt que de mourir dans le mensonge.

J'ai compté les biscuits dans l'assiette et l'ai repoussée. Comme toujours, il y en avait trop. Maman cuisine toujours trop. Je n'avais pas non plus envie de gober un fruit, j'avais trop mal pour ça. Mon estomac a émis un grondement de dégoût lorsque l'odeur des biscuits a imprégné mes narines et c'est la main devant le nez que j'ai vidé l'assiette dans la poubelle. Juste avant de quitter la cuisine, j'ai lancé un dernier regard à ma mère dont les épaules se soulevaient au rythme de sa respiration torturée. Ses cils étaient collés par paquet et ses joues noircies par le maquillage. Elle venait de pleurer. J'ai voulu déposé ma main au sommet de son crâne comme elle me le faisait toujours, mais me suis arrêté lorsque mes doigts ont frôlé ses mèches ébènes. Je ne voulais pas la réveiller, je savais que depuis mon retour, elle ne dormait plus et passait ses journées à pleurer en traînant sa carcasse exténuée du canapé aux fourneaux. C'était à se demander lequel de nous deux était le plus malade. Je l'avais surpris avant de partir à l'école en train de suffoquer dans la cuisine, une tasse de café à la main. La tasse tremblait et le café giclait sur le sol en petites gouttelettes noires. De longues traînées brûlantes recouvraient les bords de la tasse en céramique et terminaient leur course sur les doigts fripés de ma mère. Sa peau était rougie par la chaleur et commençait déjà à former des cloques mais elle s'en préoccupait bien peu, trop concentrée sur ses larmes. Je n'ai pas eu besoin de manifester ma présence qu'elle s'est retournée d'elle-même et a rapidement essuyé ses joues comme si elle craignait que je la vois pleurer. Je ne la voyais pas nécessairement mais même le soir, dans mon lit, alors que je luttais pour trouver le sommeil, je l'entendais. Elle priait Dieu, se lamentait, et se mouchait bruyamment. Papa était inquiet. Il ne disait rien mais son visage trahissait un peu trop ses pensées, malheureusement, il fallait bien que l'un des deux soit fort pour pouvoir épauler l'autre et en tant que papa, c'était son rôle. Elle ne dormait plus avec lui et passait la nuit a arpenter la maison comme si elle avait peur de la voir disparaître. Mais ce n'était pas la maison qui allait disparaître... c'était moi.

My last week {Chanbaek} [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant