« 107ème d'infantrie, Sergent James Barnes »

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Ce n'est pas tant l'attente qui est lourde mais l'inquiétude qui s'y mêle. La guerre, certains en raffolent d'autres la craignent et pourtant, tous se rejoignent sur le même tableau. Des plus forts aux plus faibles, des plus chanceux aux plus mouisards, des plus combatifs aux plus placides. Elle détruit des familles, les déchire, les anéantit et dans le doute de revoir un enfant, un frère ou un ami revenir, elle vous laisse cette angoisse pesante qui vous ronge depuis le jour où elle vous l'a enlevé.

Cette crainte, Mavy l'avait ressenti dès l'annonce du gouvernement, au matin du 8 décembre 1941, que les hommes valides de dix huit ans et plus seront mobilisés et envoyés en Angleterre. Elle avait su que James finirait par être appelé et aurait à se battre sans peut-être aucune possibilité de retour. Elle avait pensé à Steve aussi, lui qui souhaitait depuis des mois vouloir intégrer un régiment et se battre fièrement comme son ami James le ferait. Ce qui dans un sens la rassurait, était le frêle physique de son ami qui n'était pas conditionné pour le terrain et encore moins pour le combat mais elle craignait tout de même que son obstination finisse par payer et qu'il soit envoyé en première ligne. Plusieurs fois James et elle ont tenté de l'en dissuader mais son sens du patriotisme le rendait sourd.

Il ne restait que deux jours avant que James ne s'en aille pour la guerre. Le jour de son habilitation, il avait tenu à fêter la nouvelle avec Steve et Mavy. Steve, le jalousait intérieurement pendant que Mavy ne cessait de le supplier de rester. Cette nuit là avait créé une distance entre ces trois amis d'enfance. Cette soirée qui devait se passer dans la bonne humeur avait éclaté en une énorme dispute qui, depuis lors, avait empêché les trois jeunes gens de s'adresser la parole.

James avait longuement ruminé dans son coin sans comprendre pourquoi Mavy prenait tellement ça à cœur ni pourquoi Steve s'obstinait tant à vouloir jouer les braves petits soldats. Une semaine sans les voir lui paraissait être une éternité et il espérait tout de même les revoir avant de partir. Il regardait sans cesse le téléphone dans l'espoir d'un appel de leur part ou peut-être même pour se convaincre de faire le premier pas mais il n'eut que pour seule réponse un lourd silence jusqu'à la veille de son départ.

Toute sa journée, il l'avait passé à tourner en rond chez lui et finit par avoir la visite surprise de Steve qui ne pouvait rester dans le silence plus longtemps. Ils ne pouvaient décemment pas rattraper cette semaine perdue mais ils pouvaient au moins profiter de ces derniers instants ensemble. Mavy n'avait, quant à elle, donné aucune nouvelle depuis le soir de la dispute et James finissait par croire qu'elle ne voudrait plus jamais lui reparler et que cette soirée désastreuse allait être le dernier souvenir d'eux réunis. Steve n'avait pas osé allé la voir, elle était la plus jeune des trois mais certainement la plus féroce.

La nuit commençait à tomber lorsque James décida d'emmener Steve  à l'exposition Stark et par la même occasion à un double rencard arrangé par ses soins. Steve n'était pas du genre à avoir de la chance dans la vie, il n'attirait pas les filles et n'était bon dans aucun travail manuel. En plus d'être petit et chétif, il était la cible facile des grosses brutes et aucune ruelle sombre de Brooklyn ne l'avait pas vu être tabassé par des molosses. Il savait encaisser et parfois même rendre les coups mais James était toujours intervenu pour mettre fin au massacre. Ce double rencard ne l'enchantait pas tellement, il en avait eu des tas et la fille finissait toujours par se coller à James. Comment pouvait-il lui en vouloir ? Il avait bien plus de charisme et de charme qu'il pouvait rêver en avoir. C'est souvent dans ses moments là que Mavy et lui s'éclipsaient pour aller manger une glace où parler toute la soirée en imaginant refaire le monde à leur façon.

Pendant la soirée, Steve finit par se volatiliser pour échapper à ce rencard plus qu'ennuyant et James tenta le tout pour le tout de s'en aller lui aussi malgré les nombreuses supplications des deux filles qui agrippaient son uniforme avec force. Lorsqu'elles finirent enfin par lâcher, il leur fit un sourire dont il avait le secret et tourna les talons presqu'en courant pour quitter au plus vite cet endroit. Ce rencard n'était pas le plus réussi qu'il avait eu. L'envie de voir Mavy avant de partir le rongeait atrocement et il n'avait pensé qu'à elle depuis leur dispute. La nuit était déjà bien noire et les rues se vidaient. James marchait les mains bien au fond de ses poches, en direction de l'appartement de la jeune fille qui devait très certainement lui en vouloir. Il frappait de temps à autre dans un caillou sur le trottoir en cherchant quoi lui dire. Il se demandait souvent pourquoi les choses ne pouvaient pas être aussi simples qu'avec Steve. Mais c'était une fille, elle s'est toujours beaucoup inquiétée pour Steve et lui et a dû faire face à bien des choses depuis la mort de ses parents. Un long soupire s'échappa de ses lèvres lorsqu'il fit face à la porte de chez elle et, timidement, il frappa trois coups brefs sur le bois. Les claquement clairs de talons résonnèrent dans l'appartement et la porte s'ouvrît en grand sur une jeune femme vêtu d'un beau chemisier bleu à poids blancs et d'un pantalon de tailleur noir très moderne pour l'époque. Elle était coiffée de ces éternels victory rolls qui lui donnait un côté très rockabilly. Elle n'a jamais aimé faire comme toutes ces femmes, à porter des robes et à se coiffer comme tout le monde, c'est ce qui la rendait unique et c'est pour ça que Steve et James l'aimaient autant.

-Je m'en vais demain et je ne voulais pas regretter de ne pas t'avoir vu une dernière fois. Avoua James.
-Tu as intérêt à revenir Bucky ou c'est moi qui viendrais te chercher.
-J'en doute pas une seconde. Sourit-il en la prenant dans ses bras. Bon, je vais rentrer.
-J'ai quelque chose à te donner avant.

Les yeux bleus de James s'étaient posés sur le petit corps frêle de son amie qui déambulait à la recherche de ce fameux quelque chose. Elle s'était éclipsée dans sa chambre et James en profita pour rentrer dans l'appartement et fermer la porte derrière lui. L'hiver étant glacial cette année, il voulait profiter de la chaleur du logis quelques secondes. Tout chez elle tournait autour de Steve et James, il y avait des tonnes de photos et des objets, souvent des cadeaux d'anniversaire ou de noël et des fois même gagnés dans des fêtes foraines.

-Tu t'es perdue ? Demanda James.
-J'arrive pas à mettre la main dessus ! S'énerva Mavy, la voix étouffée par la distance qui les séparait.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres du soldat en devenir. Mavy n'a jamais été très organisée et ça ne s'était pas arrangé avec les années. Elle perdait toujours tout depuis qu'elle était toute petite, ses clefs, son sac, ses bijoux et des fois même Steve et James dans les lieux bondés par la foule. Les garçons lui avaient donnés une routine pour l'aider, les bijoux dans la boite sur sa coiffeuse, les clefs sur la porte, le sac sur son lit et marcher devant eux lorsqu'ils sortaient. Ses trois orphelins avaient apprit à vivre ensemble, ils étaient les piliers de l'un et l'autre et ils s'en étaient toujours sortit comme ça. Le départ de James allait grandement chamboulé les choses et Mavy avait du mal à s'y préparer.

James reposa automatiquement la photo qu'il avait entre les mains lorsqu'il vit son amie revenir avec un médaillon entre ses petites mains. Il la regardait sans rien dire, attendant qu'elle finisse enfin par lui expliquer ce que ce bijou signifiait. Elle resta cependant silencieuse, fit deux pas vers lui, attacha le médaillon autour de son coup et recula aussitôt comme pour l'admirer. James posa automatiquement sa main sur le pendentif qui s'ouvrît instantanément entre ses doigts. Une photo de lui et Mavy y avait été soigneusement déposée. Il le referma d'une simple pression entre son pouce et son index et le fit glisser sous sa chemise.

Mavy le fixait de ses yeux noisettes, terrorisée et inquiète. Si elle avait pu y aller à sa place elle l'aurait fait. James fit un pas vers elle, les mains crispées puis se pencha avec hésitation vers son visage avant de se résigner et de reculer. Il se racla la gorge en tirant nerveusement sur la veste de son uniforme et regarda un peu partout autour de lui puis finit par la prendre par les épaules et colla ses lèvres contre les siennes, comme une promesse de son retour sans savoir qu'ils se voyaient pour la dernière fois.

About Time - James "Bucky" BarnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant