« Pour construire un monde meilleur, il faut parfois détruire l'ancien. »

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Deux semaines s'étaient écoulées depuis que James et Mavy s'étaient revus pour la première fois en deux ans. La première semaine, Mavy allait le voir tous les jours pendant quelques heures et James avait pris le pli de l'attendre sagement, se rendant peu à peu compte qu'il attendait son arrivée avec impatience. Il scrutait l'horloge en faisant tapoter ses doigts de metal sur la table de la cuisine. Dès qu'elle frappait à la porte, il bondissait de sa chaise pour lui ouvrir, elle avait toujours un merveilleux sourire aux lèvres lorsque leurs regards se croisaient. La deuxième semaine, c'est James qui la rejoignait. Il l'attendait tôt le matin au bas de son immeuble laissant toutes ses habitudes de côté. Mavy descendait récupérer son courier à neufs heures pile tous les jours et James l'avait bien remarqué. Alors, à huit heures cinquante il attendait devant l'immeuble que la jeune fille aux yeux noisettes descende, emmitouflée dans son manteau. Ils allaient prendre un café dans un petit bistro, marchaient une petite heure en discutant d'un peu n'importe quoi et rentraient chez eux avant de se revoir pour le dîner. Mavy était aux anges. Elle avait l'impression de rêver. James faisait des efforts considérables et elle l'avait pour elle toute seule. C'était un rituel qui commençait beaucoup à leur plaire à tous les deux.

La nuit était tombée bien vite ce soir et Mavy venait tout juste d'entrer dans l'immeuble de James. Elle frappa ses chaussures couvertes de neige sur le paillasson du hall et gravit les escaliers de deux en deux, pressée de revoir James. Il dut certainement l'entendre se dépêcher sur le palier car il ouvrit la porte avant qu'elle n'eut le temps de frapper. Avec un léger sourire pincé, il se décala pour la laisser entrer et lui prit son manteau pour le poser sur son matelas. James avait ramené deux pizzas et une bouteille de soda. Ils étaient loin d'un dîner gastronomique avec du bon vin mais Mavy s'en fichait, le principal c'était qu'il soit là. Elle s'installa calmement devant James qui déjà mordit dans une part. Elle ne put s'empêcher de sourire.

-Tu as toujours le collier que je t'avais offert.

James baissa les yeux vers son torse en se saisissant du bijou. Mavy ne l'avait pas remarqué jusqu'à présent et James n'avait jamais su d'où l'objet venait.

-Il est de toi ? Demanda-t-il l'air perdu.
-Oui. Il y a une photo de nous dedans.

       James pinça légèrement le médaillon pour l'ouvrir et fixa son attention sur la photo à l'intérieur. Il a toujours gardé ce collier dans l'espoir qu'un jour il lui donnerait des réponses sur son passé mais jamais il n'aurait imaginé qu'il contienne quelque chose. La photo était vieillie par le temps. Il était bien dessus, les cheveux coiffés au gel sous une casquette-képi, vêtu d'un uniforme militaire arborant un sourire radieux. Juste à côté de lui, accrochée à son bras, se trouvait Mavy, souriant de toutes ses dents. Elle avait de très longs cheveux bouclés qui tombaient sur ses épaules dénudées et portait exceptionnellement une jolie robe que James imaginait être blanche. Mavy avait gardé le même sourire mais d'apparence, elle n'était plus du tout la même. Elle avait les cheveux courts qui lui arrivaient aux épaules et portait toujours des vêtements noirs et très peu de maquillage. Il referma le bijou et le glissa sous son pull.

-Elle date de quand cette photo ?
-Elle a été prise le 27 Juillet 1939, le jour où tu as été promu Sergent.
-Combien de temps tu comptes rester ici ?

       Son changement brutal de sujet la déstabilisa grandement ne sachant pas trop comment prendre la question.

-Ben je pensais qu'on discuterait après manger mais...
-Je veux dire, en Roumanie.
-Aussi longtemps que tu y seras. Dit-elle simplement.
-Ce n'est pas un endroit pour toi ici.
-Ce n'est pas un endroit pour moi où tu ne veux pas de moi ici ?

       Son ton était subitement agressif et la tension monta d'un cran. James fronça automatiquement les sourcils et Mavy serra les poings sur la table en ne le lâchant pas du regard. Leur dernière dispute remonte à il y a un peu plus de soixante-dix ans et avait duré un certain temps. Même si Mavy n'avait aucune envie de se disputer avec lui ce revirement de situation l'agaçait au plus haut point. Steve la traitait déjà comme une enfant il était hors de question que James s'y mette lui aussi. Il passa d'ailleurs une main sur son visage en soupirant légèrement. Il se laissa lourdement tomber sur le dossier de sa chaise et plongea son regard dans celui de la jeune femme en face de lui.

-Tu ne peux pas tout abandonner pour moi. D'autant que je ne me souviens de presque rien.
-Toi tu l'as bien fait pour moi.
-Quand ça ?
-J'avais quinze ans, c'était quelques mois avant l'accident de voiture de mes parents. Je me suis disputée avec eux pour la énième fois et j'ai fais ma valise pour fuguer dans la nuit. Il était presque minuit et j'attendais le prochain bus pour Manhattan et t'es arrivé avec ton sac de sport. Je t'ai demandé pourquoi tu étais là et tu m'as dit que tu me laisserais pas partir seule. Tu faisais tes classes à l'armée et tu avais décroché ton premier petit boulot en annexe mais tu avais tout plaqué et t'es parti avec moi. Ç'a duré une semaine et on a dû rentrer parce qu'on avait plus d'argent.

       Devant son air résigné James lâcha l'affaire. Elle avait déjà prit la décision de s'installer ici pour le retrouver et ça faisait six mois, à ce stade, elle n'en avait rien à faire de rester plus longtemps. Il se doutait qu'elle travaillait à faire fonctionner sa mémoire et ça marchait. C'était par bribes que les souvenirs revenaient mais ils étaient vagues et peu précis, ils s'éclairciraient avec le temps. Seuls les sentiments étaient difficiles à éprouver. Il était heureux de passer du temps avec Mavy, il l'appréciait beaucoup mais était incapable d'aimer à nouveau. Il en était persuadé. Il ne s'imaginait pas avoir été follement amoureux dans le passé, cette idée lui paraissait stupide et erronée mais du peu qu'il se souvenait, ça pouvait faire sens. Il se revoyait avec plusieurs jeunes femmes différentes parfois. D'autres fois, il était seul avec Mavy et se genre de souvenir faisait étrangement battre son cœur. Lorsqu'il posait ses yeux bleus sur elle, il se sentait désolé, terriblement désolé. Il aimerait lui rendre tout ce que la guerre lui a prit et l'aimer comme elle pouvait l'aimer mais il avait beau se forcer et y mettre toute la bonne volonté du monde, il n'y arrivait pas. Comme si son cœur lui disait que c'était une mauvaise idée. Tous ses lavages de cerveau avaient bloqués chez lui toute émotion.

       Après leur dîner, Mavy était rentrée chez elle aux alentours de minuit. James lui avait proposé de passer l'après midi dans une ville côtière pour voir un peu du pays et devait aller la chercher à quatorze heures chez elle. Alors le lendemain, elle s'était levée tôt pour ranger son appartement et préparer son sac pour la journée puis elle patienta jusqu'à l'heure du rendez-vous. Elle tapait des pieds en regardant l'aiguille de l'horloge faire tranquillement son chemin et plus les minutes défilaient plus elle sentait une boule se former dans son ventre en plus d'un sentiment d'impatience qui grandissait à vitesse folle. James avait plus d'une heure de retard et Mavy ne savait pas si elle devait s'inquiéter ou être en colère. Dans le doute, elle attrapa son manteau à la volé en sortant de chez elle et pressa le pas jusque chez James. La porte de l'immeuble était grande ouverte et lorsqu'elle s'aventura à l'intérieur son souffle se coupa. La cage d'escaliers était un véritable champ de ruines. Mavy gravissait les marches en enjambant les soldats allemands encore inconscients et arriva devant l'appartement de son meilleur ami. La porte était réduite en morceaux et l'appartement n'en était plus un. Son souffle s'accéléra et elle se précipita sur la fenêtre dans l'espoir de l'apercevoir. Elle sentit la panique l'envahir et l'air lui manquer. Elle hurlait son nom à bout de souffle et sortit de l'immeuble en trombe. Un fourgon noir s'arrêta devant elle et d'autres soldats allemands en sortirent et la saisirent avec force pour la faire monter dans le véhicule, les mains menottées.

About Time - James "Bucky" BarnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant