A.D.HAINE

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« I keep my eyes wide shut to hide
Denying you gone now and
I'm down here all alone »

Mes mains sont fermement agrippées à la rambarde face à moi. Elles tremblent, mes mains. Ils pleurent, mes yeux. Je ne sais pas comment j'ai fais pour en arriver là, pour me mettre à suffoquer, à souhaiter que tout s'arrête autant que souhaiter que tout recommence. Mes cheveux sont déchaînés dans le vent et il est certain que si mon corps bascule par dessus cette fichue rambarde, je ne survivrai pas. J'hésite. J'hésite et ça me terrifie. Si mon corps venait à se briser, si je venais à mourir, manquerai-je à quelqu'un ? Quelqu'un pleurera, hurlera, regrettera ma mort ? Voudra récupérer mon corps ? Quelqu'un se demandera pourquoi j'ai fais ça ? Quelqu'un regrettera de ne rien avoir remarqué ? Quelqu'un cherchera à comprendre pourquoi, à comprendre comment ai-je fais pour en arriver là ? Vais-je manquer à quelqu'un ? Je ne pense pas, mais j'aime l'espérer.

La seule personne qui me manque, c'est lui. Son manque me broie l'estomac, me compresse le cœur. Son manque me fait pleurer, son manque me fait hurler, son manque est en train de me tuer. Il me manque terriblement, douloureusement, dangereusement. Bien plus qu'attendu, bien plus que voulu.

Ses yeux couleur des cieux plongés dans les miens couleur ténèbres. Son odeur mielleuse, rassurante et envoûtante. Tout me manque chez lui, que ce soit sa voix aigu en passant par ses sourires éclatants et finissant par ses pleurs déchirants. Mes puissants bras contre son corps frêle, mes baisers contre sa laiteuse peau. Tout me manque chez lui et j'ai l'impression d'agoniser.

Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne savez rien de lui, rien de moi, rien de nous. Vous ne connaissez pas notre histoire. Vous ne savez pas comment s'est déroulée notre première fois. Notre premier baiser, notre premier flirt. Notre première dispute, notre première réconciliation. Vous ne savez pas comment nous nous sommes rencontrés, vous ne savez pas que la toute première fois, il m'a insulté. Vous ne savez pas qu'il pleurait, à ce moment là. Vous ne savez pas que son regard m'a pétrifié, que sa détresse m'a alarmé et que c'est à partir de ce moment que je l'ai aimé. Vous ne savez pas que je suis tombé amoureux de lui en le voyant pleurer, aussi étrange que cela soit. Vous ne savez rien et vous ne saurez jamais.

Vous ne saurez jamais quel goût avait ses lèvres, quelle intonation de voix il prenait pour appeler mon nom. Vous ne saurez jamais de quelle façon il se cambrait, de quelle façon son corps se mettait à frissonner. Vous ne saurez jamais quel surnom affectif il me donnait, quelles petites attentions il me portait. Vous ne saurez jamais rien car vous ne savez rien.

Vous ne saurez jamais rien car vous faites partis de ceux l'ayant tués et je vous hais autant que je me hais et je me hais autant que je commence à le haïr. Je vous hais de toute mon âme, de tout mon être. Je vous hais car lui ne le faisait pas, car lui continuait de vous défendre alors que vous ne faisiez que l'enfoncer. Je vous hais plus que je le hais et je ne parle plus d'Éden, lorsque je dis "le".

Je parle de celui qui a donné le premier coup, celui qui a lancé la première pierre. Je parle de celui qui lui a tendu la main lorsqu'il tombait d'un banc pour le faire tomber d'un immeuble. Je parle de celui qui l'a fait hurler, pleurer et agoniser. Je parle de celui qui est partit après un dernier crachat, une dernière insulte et sans doute un dernier coup. Je parle de celui à qui il a sans doute pensé lors de son dernier souffle. Je parle de celui que je hais de tout mon être, je parle de celui que vous ne voyez pas mais qui est là. Je parle de celui qui sait tout mais ne dis rien. Je parle du démon, du meurtrier, peut-être que je parle de vous ?

Ouvrez les yeux et observez. Observez votre entourage, peut-être qu'il est dedans. Là, tapi dans l'ombre, à la recherche d'une nouvelle victime. D'un nouveau crime. Ouvrez les yeux et observez. Observez les sourires ; sont-ils réels ? Observez toutes et tous. Observez l'animal, observer l'humain et le végétal. Observez ce qui ne dit rien mais sait tout. Observez la fourberie, la cruauté, la démence et la souffrance.

Puis observez Éden, le brisé et le décédé. La tendresse défunte de l'être tant aimé. Souvenez-vous de tout, du petit détail sans importance puis de rien. Oubliez tout, fermez les yeux ; moi, je ne le ferai pas. Il est certain que je vais vous faire regretter.

Souvenez-vous de sa voix aigu, ses rires et sourires constants. Souvenez-vous de celui achetant une baguette pour l'affamé quémandant. Souvenez-vous de ces mouvements lorsqu'il dansait. Souvenez-vous de celui bénévole au refuge, celui qui donne mais ne demande rien. Celui qui donne plus qu'il n'a, celui qui danse et qui pleure. Celui qui n'a plus pied, celui qui s'écroule et celui à qui vous souriez. Celui qui hurle, celui qui se débat, celui qui meurt.

Comme vous semblez avoir tout oublié, laissez moi vous rappeler.

Until We BleedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant