Samedi soir, 20h.
Le reflet du miroir ne lui renvoyait que le reflet d'un visage ensanglanté. Un visage et des mains couvertes de sang... d'un sang qui n'était pas le sien... Alix... Le bruit de métal froissé résonnait dans sa tête, le bruit de l'impact, le bruit... les cris et puis...
Le peigne qu'il tenait en main tomba dans le lavabo, avec un bruit métallique. Il baissa les yeux et le reprit. Machinalement, il se brossa puis le rangea dans le petit placard dissimulé derrière la glace.
Il avait enfilé un costume trois pièces gris-clair et des boutons de manchettes dorées ornaient ses poignets.
Il était prêt. Mais prêt pour quoi au fait ? Où allait-il ?... Qu'allait-il faire ?
Il attrapa son calepin et assis en tailleur sur la moquette, il commença à écrire.
Un coup de klaxon le sortit de son travail. Ce ne devait pas être le premier car Léo entra en trombe dans la pièce et le tira par l'épaule.
- Qu'est ce que tu fais ? Viens, il faut y aller ! T'es prêt au moins...
Il ne finit pas sa phrase ; il avait aperçu les boutons de manchettes. Mike releva la tête vers son ami, une expression perdue et éthérée ancré au fond des yeux. Les boutons avaient été offerts pour ses 19 ans par Alix, le jour où ils s'étaient rencontrés.
Léo s'agenouilla près de lui, une main sur son épaule. Doucement, il lui retira le carnet et le crayon qu'il avait en main.
- Viens, allez... ça va te changer les idées.
Ils se levèrent ensemble et Léo le conduisit jusqu'à la voiture.
La route était assez longue par la côte mais Léo conduisait sans problème. Aucun des deux n'ouvrit la bouche, seul le ronronnement de la Megan berça le trajet.
Léo était déjà allé à une soirée au même endroit au printemps et il ne s'est trompé qu'une fois sur la route. La demeure se trouvait au bout d'un chemin de graviers d'un kilomètre, marqué Voie privée. On reconnaissait les basses à près de cinq cent mètres à la ronde et il y avait tellement de voitures, entassées partout, qu'ils durent marcher longtemps avant de rejoindre la maison.
Léo s'est garé et ils sont descendus. Léo ne le regardait pas, il n'avait jamais supporté cette expression dans le regard de Mike quand il était dans cet état-là. Celui-ci avançait comme un automate sur les traces de son ami, ne semblant réagir à rien.
Il y avait au moins soixante personnes et tout le monde était plus ou moins ivre. Une odeur de marijuana flottait comme une sorte de brume suspendue dans l'air et qui se mêlait aux relents d'alcool et de sueur. C'était un brouhaha de conversations, de rires et de musique rock qui hurlait à tue-tête. Deux lampes se dandinaient au plafond, une rouge et une bleue. Cela résume bien la première impression que Mike eut en entrant : on se serait cru dans un train fantôme.
- Léo ! a couiné quelqu'un, presque dans son oreille.
Il a sursauté à s'en avaler la langue.
C'était une fille, petite, assez jolie, avec des cheveux décolorés et la robe la plus courte que Mike n'avait jamais vue, d'un orange fluorescent qui vibrait comme un spectre burlesque sous l'étrange éclairage.
- Salut jenny ! a crié Léo pour couvrir le vacarme. J'ai réussi à amener Mike, regarde !
- Oui, cool !... C'est chouette, non ? a-t-elle demandé aussitôt.
Mike ne pouvait détacher son regard d'elle. Quand elle bougeait, l'ourlet de sa jupe s'enroulait dans la dentelle de son slip. Elle avait les yeux qui pétillaient. Elle était tout près de lui, une hanche négligemment collée contre la sienne. Il sentait ses cuisses nues.
Il n'était plus vraiment là, comme si la musique et tout autour avait disparu. Il avait la tête remplie d'hélium. Des gens entraient et sortaient. On lui présentait un tas d'individus qu'il oubliait aussitôt.
Ce qui lui plaisait énormément dans ces présentations, c'est que chaque fois que quelqu'un se baladait seul, Jenny lui sautait dessus, et le ou la tirait par le bras. Et de cette façon, il pouvait observer sous sa jupe, là où le Repos du Guerrier s'abritait sous une pure gaze de nylon bleu.
Des gens changeaient les disques et il les observait aller et venir dans la pièce.
Mais, surtout, il regardait Jenny croiser et décroiser les jambes. Quelques filaments de poils pubiens, neuf tons plus foncés que les cheveux décolorés, s'étaient échappés de leur prison de dentelle.
Elle s'est tourné vers lui et lui a susurré quelque chose à l'oreille. Aussitôt, la température de son estomac est montée de dix degrés, comme s'il avait mangé de la harissa. Son souffle chatouillait le creux de son oreille.
- Sors par la porte de derrière, là-bas, a-t-elle dit en montrant du doigt.
Comme c'était difficile à comprendre, il suivit son doigt du regard. Oui, il y avait bien une porte. Elle 'était réelle, elle existait bien pour de bon.
Elle a ri gentiment et lui a dit : « Tu as regardé sous mes jupes toute la soirée, qu'est-ce que ça signifie ? »
Avant qu'il ait pu répondre, elle lui avait déposé un baiser sur la joue et s'était éloignée en sautillant comme une écolière.
Avant d'aller dehors, il aurait souhaité sortir sa chemise, pour cacher la bosse de son pantalon. Mais il n'en fit rien. Le nuage de marijuana et les quelques bières qu'il avait ingurgitées commençaient à lui faire perdre pied.
Il sortit par la porte de derrière.
Il y avait une plage de petits galets blancs en contrebas et la mer qui au loin, allaient et venaient dans son rythme incessant. L'arrière de la maison donnait sur un rocher abrupt qui tombait sur un îlot miniature. Une volée d'escaliers battue par les vents menait en bas. Il a avancé précautionneusement en se tenant à la rampe. Il avait l'impression que ses pieds étaient à des milliers de kilomètres. De ce côté, la musique paraissait lointaine et se mêlait au rythme cadencé des vagues qui la couvrait presque entièrement.
Il y avait un soupçon de lune et un fantôme de brise. La scène était d'une beauté si renversante que pendant un instant il crut marcher dans une carte postale en noir et blanc. Derrière lui, en haut, la demeure se perdait dans le flou. Des arbres grimpaient de chaque côté, des pins et des épicéas qui se penchaient au-dessus de la pointe des rochers nus, des épicéas jumeaux qui encadraient la plage en demi-lune, balayée par les vagues. Devant lui, s'étendait l'Atlantique, parsemé d'une myriade de vagues reflets lunaires. Au loin, à gauche, il apercevait la course à peine visible d'une île et il se demandait qui, à part le vent, osait s'y aventurer la nuit. Cette pensée morose le fit un peu trembler.
Il a enlevé ses chaussures et l'a attendu.
Il ne sait pas combien de temps il s'est passé avant qu'elle n'arrive. Il n'avait pas de montre et il était trop ivre pour en juger. Au bout d'un certain temps, le malaise a commencé à l'envahir. Sans doute à cause de l'ombre des arbres sur le sable mouillé et compact et du bruit du vent. Ou encore, à cause de l'océan lui-même, l'océan gigantesque et de tous ces petits points de lumière. Peut-être à cause du sable froid sous ses pieds nus. Peut-être autre chose encore, ou tout à la fois. Et elle a mis une main sur son épaule.
Elle l'a fait se retourner, et, dressée sur la pointe des pieds, elle l'a embrassé. Il sentait la chaleur de ses cuisses mais cela ne lui faisait plus rien.
- J'ai bien vu que tu me regardais, a-t-elle dit. Tu veux bien être gentil ? Tu sais être gentil ?...
- Je peux essayer, a t-il répondu.
Il toucha sa poitrine et elle se serra contre lui. Il trouvait à présent cette fille totalement vulgaire avec ses cheveux presque blancs.
- Ne dis à rien à Joe, on a une histoire tous les deux. Il me tuerait.
Elle le conduisit en dessous des marches où l'herbe froide se mêlait à des épines de pins odorantes. Les ombres dessinèrent des stores vénitiens sur ses seins, au moment où elle enlevait sa robe.
- C'est fou, a-t-elle dit d'une voix excitée.
Mike ne garde qu'un vague souvenir de ce qu'il s'est passé ensuite. Jenny a apprécié, cela seul est resté gravé dans sa mémoire avec les couinements de souris dont elle ponctua les minutes qui suivirent.
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Vi(e) .rtuality
Science Fiction"Vous êtes-vous déjà demandé si les choix que vous faisiez vous appartenaient vraiment ?" Nous connaissons tous ces jeux de simulation de vie dans lesquels on crée un personnage auquel on doit attribuer un nom, un métier... une existence. Imaginons...