La responsabilité inhérente à ce pouvoir qui venait de chuter entre ses mains l'avait privé de sommeil durant la nuit entière. Il songeait à Léo, il songeait à sa mère, il songeait à ses voisins et à tous ces êtres qui gravitaient autour de lui, inconscients des fils qui les reliaient à ce programme comme de simples marionnettes. Le poids de cette charge était physique et toujours assis sur son fauteuil à roulettes, il demeurait avachi, les épaules voûtées, le regard perdu sur l'infinité de conséquences qui résulteraient de ses choix prochains. Il se souvint de ce que Léo lui avait dit, dans un souffle angoissé, il y avait quelques jours : « Il faut toujours que quelqu'un prenne soin d'eux. Je ne peux pas m'en occuper. Tu comprendras bientôt... »
A présent, il ne comprenait que trop bien ce que cela impliquait et soudain, une bouffée d'angoisse l'étreignit. Il chercha de l'air et bascula la tête en arrière. Les yeux clos, il compta à rebours, comme le psy le lui avait appris à la suite de l'accident avec Alix.
En abaissant la tête, ses yeux étaient emplis de larmes silencieuses et affichaient une résignation désespérée.
« Je n'ai pas le choix. »
Son index vint appuyer sur le bouton « power » de la tour et le bureau de l'ordinateur s'alluma en quelques secondes. Il n'y avait pas de raccourci du programme, il fallait lancer le bios pour effectuer un démarrage manuel. L'écran bleu apparut, les logos puis les protocoles de sécurité s'énoncèrent ; réticulation des émotions courantes, calibrage des protocoles sociaux, équilibrage des données physiologiques...
« Programme NIAMUH »
- Programme principal code 2986#56#2
- Lieu demandé ?
Il opta d'abord pour les environs directs et sélectionna les quartiers autour de l'université. Il pénétra dans chacune des « familles », sélectionna les personnages un à un et après une étude rapide des besoins en cours et des projets de vie, il programma des séries d'actions aussi longues qu'il pût, essayant de tout anticiper. Balayant un périmètre de 10 kilomètres autour de la fac, il parvint à traiter les tâches d'environ 1538 entités. Le travail en lui-même ne demandait pas tant d'effort que ça, c'était la multiplicité et le souci de ne rien oublier qui lui vrillait véritablement les neurones. Il s'étira en faisant craquer sa nuque et ses épaules.
Il avait besoin de marcher un peu. Il se leva et fit quelques pas, jeta un regard distrait vers la fenêtre dont les volets étaient toujours clos et fut surpris de constater qu'il faisait nuit.
Aurait-il passé toute la journée à ça ?
Incrédule, il saisit son portable qui trainait sur le lit et le connecta.
Jeudi, 22h46.
« Sérieusement ? » blêmit t-il.
Il tourna les yeux vers l'ordinateur.
Là, son cerveau se mit réellement à bouillonner. C'était ingérable. Il lui fallait trouver une solution... mettre le temps en pause ou à défaut, trouver une centaine d'assistants pour être capable de le seconder. Instinctivement, il composa le numéro de Léo, comme souvent quand il se trouvait face à une difficulté qu'il ne parvenait pas à résoudre. Il hésita au moment d'appuyer sur l'icône du téléphone vert.
« Ouais ? lança une voix endormie.
- Léo ? C'est moi, mon pote... Désolé de te réveiller.
- Mike...
Le ton de sa voix n'avait rien d'accueillant.
- Léo, il faut que tu m'aides...
- Non. Je t'ai déjà dit que je ne pouvais pas m'occuper de ça, coupa t-il sans ménagement.
- Attends. Je ne te demande pas de gérer le truc... J'ai juste besoin de tes connaissances. Ecoute, tu as déjà bidouillé des programmes par le passé ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ? questionna t-il, froid mais attentif.
- Dans tout jeu, il y a un moyen de contourner le système, non ?
Il y eut un bref silence.
- Un code de triche, c'est que tu sous-entends ?
- Quelque chose comme ça, oui.
- (soupir) Evidemment, c'est toujours plus au moins possible, selon la complexité du code source. Mais il y a toujours des mécanismes habituels... (il sembla attraper quelque chose en grognant et tourna quelques pages). Tu as de quoi noter ?
- Euh... oui, oui...
Mike saisit une feuille froissée qui trainait et griffonna dessus.
- Ctrl-Maj-C. Ça devrait t'ouvrir une barre de codes. Après, c'est selon ce que tu veux faire exactement... et du langage de programmation usité. Tu veux faire quoi au juste ?
- Hmm. Je ne sais pas exactement... Stopper le temps ?
- Tu déconnes ?
- Léo, ils sont trop nombreux... Tu ne te rends pas...
Léo retint son souffle à l'autre bout du fil. Si, il se rendait bien compte. Tout autant qu'il faisait partie de toute cette mascarade. Il avait horreur de se souvenir de son statut de simple pion. Il souffla bruyamment par le nez.
- Cs/script : TIMERFREEZE, dit-il simplement.
Mike s'empressa de noter. Léo lui dicta encore plusieurs lignes puis conclut :
- Le jeu devrait être en pause au moment où tu appuieras sur ENTER. Ça devrait te laisser le temps de faire... ce que tu as à faire.
- Merci, Leo.
Il voulut ajouter quelque chose dans le genre « Je vais bien m'occuper de vous, t'inquiète pas » mais il se ravisa, mal à l'aise. Il raccrocha sans rien ajouter d'autres.
A défaut de pouvoir avoir plus de temps réel pour effectuer la multitude de tâches, il pourrait s'assurer qu'ils n'arrivent rien aux... Niamuh, le temps qu'il organise tout. Il lança le code tel que le lui avait conseillé Léo et, contre toute attente, ça fonctionna. Les personnages se stoppèrent dans leurs actions, comme s'il avait simplement appuyé sur le bouton « pause ».
Poussant un soupir de soulagement, il reprit la répartition des actions avec discipline.
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Vi(e) .rtuality
Science Fiction"Vous êtes-vous déjà demandé si les choix que vous faisiez vous appartenaient vraiment ?" Nous connaissons tous ces jeux de simulation de vie dans lesquels on crée un personnage auquel on doit attribuer un nom, un métier... une existence. Imaginons...