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- Je pensais vous trouver ici, annonça Loki en surprenant Nótt.

- Le monde me fatigue vite, expliqua-t-elle en caressant le museau d'Hrimfaxi. Ce stupide jeu de guerre est ennuyeux.

- C'est pour cela que j'évite les lieux peuplés.

- Sur Asgard ? se moqua Nótt.

- Oh non, répondit-il malicieusement, bien plus loin, les mondes sont infinis.

Interloquée, Nótt se retourna, Hrimfaxi tendant l'encolure avec le mouvement. Fier de son effet, Loki mit ses mains dans son dos, toute sa posture peinte dans de l'élégance.

- La magie rend curieux, continua-t-il, la guerre rend stupide, en effet. Voilà que vous naissez avec quelques pouvoirs, et vous voulez les voir croître jusqu'à l'infini.

- Parlez pour l'enfant que vous êtes, répliqua Nótt, les pouvoirs que vous avez sont un don, les miens sont un devoir.

- Qui vous a donné les vôtres ?

- L'assemblée des Ases et des Vanes.

- Ma naissance aura suffit. Vous n'êtes pas effrayé par ce don, n'est-ce pas ?

Nótt eut ce réflexe d'égo de relever la tête avec une expression supérieure, ce qui eut l'air de satisfaire son interlocuteur.

- Les portails s'ouvrent à ceux qui n'oublient pas leur main derrière leur épée...

Un moment s'écoula.

- Ou leur massif corps derrière leur hache...

Nótt rit cette fois-ci, toujours avec cette distinction qui lui était due.

- Allons, Loki, ne soyez pas si rancunier, fit-elle semblant de ramener à l'ordre.

Dissimulant l'impertinence dessinée sur ses lèvres, Loki s'avança d'un pas pour s'incliner respectueusement devant Nótt.

- M'autoriseriez-vous à vous montrer les humbles capacités de mon don ?

- Menez-moi, Prince de la Magie, répondit Nótt, faisant référence à leur première rencontre et aux premières paroles échangées.

Les deux semblaient ignorer les dangers qui auraient pu menacer le bon déroulement de la prophétie du roi d'Asgard. Nótt était une reine lassée, mais suivre Loki aurait dû lui rappeler le danger de sa situation. Mais Nótt méprisa ces responsabilités, se libérant d'un fardeau éternel qui lui faisait voir le même paysage depuis des siècles.

Ainsi, Loki conduit Nótt jusqu'au port d'Asgard, et l'invita à prendre place dans l'un des petits canots. Sans parole, le bateau s'éleva au dessus de l'eau, et le fils d'Odin lui fit traverser le grand lac, passant de loin le Bifrost, le palais d'Asgard s'éloignant tranquillement. Silencieuse, Nótt appréciait la douce traversée de l'eau, la façon qu'elle avait d'onduler, comme si s'apprêtaient à sortir de ces vagues quelques créatures enchantées. Elle se pencha, et effleura l'eau de ses doigts, obombrant l'onde sur son passage, lui partageant ce pouvoir qui lui avait été donné par tous, afin qu'ils puissent éviter la malédiction de cet engagement. Le bateau s'éleva soudainement, obligeant les ongles de Nótt à quitter leur contact frais.

Le Bifrost dépassé, Loki suivait un amoncellement de terre, qui annonçait une montagne plus lointaine. Le bateau s'arrêta, et Loki se leva sans hâte. Il tendit sa main en direction de Nótt, qui s'en empara en toute délicatesse.

- Allons, dit-il, ce n'est plus très loin.

Il la mena alors, marchant à travers la riche faune de ce monde, jusqu'à ce qui semblait être une chute d'eau, bien que petite et peu bruyante.

- Ignorons-nous ce qu'il pourrait advenir ? murmura Nótt comme si le lieu imposait le secret d'un pacte.

- L'univers se passe de vous depuis de longues heures déjà ; Asgard saurait vous oublier un instant.

Et Nótt fit le premier pas en direction de la chute, rapidement accompagnée de Loki. Il s'y engouffra d'abord, suivit de celle qu'il n'osait appeler par son prénom. Elle passa sous l'eau, qui n'était ni douce ni tiède, mais totalement impalpable alors qu'elle traversait le filet de la source. Une légère aspiration lui fit faire quelques pas rapides, sa cape se soulevant légèrement, et elle fut soudainement éblouie par un ciel incroyablement lumineux.

- Où sommes-nous ? demanda-t-elle sans paraitre surprise.

- Nous voici sur Alfheim, annonça Loki avec ce pincement de lèvres malin qui pouvait s'apparenter à un sourire.

- Les Elfes Lumineux, récita Nótt avec une étrange fascination. Dag jouit de ce ciel, entièrement, jamais je ne passe au dessus. Parfois, je m'amuse à lui passer devant, mais cela, je ne puis me le permettre que de temps en temps. Nous pouvons échanger quelques peu, à ces moments-là, à savoir comme l'un et l'autre vont. Mais nous ne restons pas bien longtemps. Dag laisse une torche au dessus d'Alfheim, mais il doit repartir pour ne pas négliger les autres mondes.

- Vous pourrez bientôt le rejoindre, répondit Loki en observant le ciel.

- Espérons-le, soupira Nótt. Hati semble prendre son temps, et le ciel attend toujours.

- Vous avez dû le blesser durement, et il a dû perdre votre trace ; une chance, quand on y pense. Sinon, nous aurions vu une Nuit déchirée, se moqua-t-il doucement.

Le silence accueillit ses paroles, Dag lui-même muet et absent. Loki tendit sa main devant lui, et jaillit de ses doigts une brume teintée de verte qui se transforma en un étalon que l'on aurait cru fait de chair, galopant et s'ébrouant dans l'étendue infinie.

- Je n'éprouve aucune hâte à ce que Hati vienne, confia Loki sur un ton détaché.

Nótt tourna alors son regard en sa direction, ne comprenant que lentement les implicites de ces paroles.

- J'ai bien peur de ne le désirer que par devoir, répliqua-t-elle.

C'est en ces mots que les deux venaient de confesser l'impossible, caché des yeux et des oreilles, des lèvres accusatrices, invisibles dans ce monde de clarté. Les âmes se parlaient au travers des iris, le cheval s'évanouit dans la lumière, et la dyade se toisa une éternité durant.

Fallen From AboveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant