Mamina, Piniki et Nila étaient les trois aleiraba qui avaient élevé Tala depuis sa naissance, dans ce qu'elles avaient appelé le Jardin Secret. Elles tenaient conciliabule depuis une bonne demi-heure, tout en s'agitant pour nettoyer la maison et faire la cuisine : la jeune voirlouve avait un comportement étrange, et ce depuis plusieurs jours ! Elle était rêveuse, parfois mélancolique. Elle leur avait demandé plus de précisions sur son espèce... Les aleiraba, pour la protéger du roi Bhâluka et de sa furie vengeresse, étaient allées jusqu'à lui apprendre à se prendre une forme féline plutôt que canine. Elle n'était pas une voirlouve, mais une tseste bumba. Ainsi, si elle rencontrait un voirloup – créature la plus vile et dangereuse de la jungle ! – elle pourrait se défendre. Elle n'aurait pas non plus l'envie d'entrer en contact avec eux.
À présent que le règne de Bhâluka était terminé et que celui de Sahale commençait, le danger qui pesait sur la tête de Tala était toujours présent : elle était une descendante de Qirmizi et était sous le coup d'une condamnation à mort. Cependant, les trois fées s'inquiétaient, car elles savaient qu'elles ne pourraient cacher éternellement la vérité à leur pupille.
— Si elle apprend la vérité, bredouilla Nila, elle pourrait très bien se lancer dans une quête vengeresse contre la famille royale !
— Notre Tala ? Allons donc ! se récria Piniki. La vengeance n'est pas dans sa nature.
— Je suis d'accord avec toi, Pikini, fit Mamina qui était couverte de farine. Mais c'est à cause de Bhâluka si la mère de la petite est morte. Son père. Ses oncles, ses cousins...
— C'était la guerre et quelque part c'est de notre faute, si la politique du royaume se retrouve en danger, fit Nila de sa voix flûtée.
Sa peau fine prit une teinte vert pomme : elle avait peur.
— Du cœur ! lança Mamina en brandissant un rouleau à pâtisserie avant de l'abattre sur la boule de pâte qu'elle avait formée sur une table en bois. Nous en avons vu d'autres !
— J'aimerais tout de même savoir quel est l'imbécile qui a cherché à pervertir notre belle petite ! Elle aurait pu vivre toute sa vie heureuse, avec nous !
— Ne dis donc pas tant de sottises, Piniki, ou je t'aplatis la tête ! fusa Mamina.
— J'aimerais bien t'y voir !
La maison fut aussitôt éclairée de mille couleurs vives, comme si on y tirait un feu d'artifice. Lorsque le vieux faune Puidecerb entra, une pipe fumante à la bouche, toute la cuisine et le salon bien ordonné étaient sens dessus-dessous.
— Alors, les poulettes ? gloussa le faune. On fait la foire ?
Décoiffée, toute rouge, Nila lança :
— C'est lui ! Voilà ! Cela ne peut être que lui qui a mis des sottises dans la tête de Tala !
— Ah, çà ! C'est trop fort ! Je viens en ami et l'on m'accuse des pires sorcelleries !
Les disputes et palabres durèrent toute la journée et l'on en vint à la conclusion que la jeune protégée de ces membres du Petit Peuple avait assez bon fond pour qu'on puisse lui faire confiance. Il fallait seulement qu'elle ne soit pas agitée par la haine envers la famille royale. Lorsque Piniki déclara que ce serait bien compliqué, Puidecerb fit une réflexion si grivoise que Mamina lui lança un sort qui fit pousser tous ses poils de plusieurs centimètres, provoquant les rires ravis des trois fées et les râleries du vieux faune.
*
Tala avait dit à ses trois marraines qu'elle allait se « promener » et qu'elle reviendrait avant la tombée de la nuit. Depuis sa rencontre avec Sahale, elle réfléchissait beaucoup. Ses origines étaient obscures, mais elle avait toujours plus ou moins accepté le fait que les trois aleiraba l'avaient trouvée près du corps de sa mère, qui n'avait pas survécu à l'accouchement. « Matako » lui avait dit qu'elle était voirlouve, ce avec beaucoup de conviction ! Il s'était trompé, bien sûr, mais pourquoi ? Les tsetse bumba étaient-ils une espèce similaire aux voirloups ? Ou bien peut-être faisaient-ils partie de la même espèce mais appartenaient-ils à des races différentes ? Dans ce cas, pourquoi étaient-ils ennemis ? Matako n'était pas méchant. Il ne lui avait pas fait de mal : il s'était seulement montré très curieux. Un peu ombrageux, songea tout de même la jeune fille en se remémorant l'attitude altière et orgueilleuse de l'étranger. Cependant, il n'avait pas été cruel, il n'avait pas cherché à faire d'elle sa prisonnière. Il n'avait pas non plus mentionné sa présence à la garde : Tala s'était transformée en chat pour pouvoir revenir observer les autres voirloups à son aise.
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Lupa ridet
RomanceSahale est le jeune héritier du clan voirloup. Au cours d'une dangereuse partie de chasse, une inconnue lui sauve la vie bien malgré lui et Sahale se promet de la retrouver... Ce qu'il ignore encore ? L'inconnue en question a juré sa mort ! Romance...