La sonnerie de mon portable retentit. Comme sonnerie, j'ai choisi un extrait d'un film japonais des années 20 où le personnage principal finit par se faire hara kiri. C'est un peu macabre mais ça a le mérite d'être peu connu, et si ça sonne dans un lieu public, personne ne sait d'où ça vient, mais ça reste tout de même classe. Je vais sur l'appli des messages et je lis la réponse de ma meilleure amie : « Ouais, bonne idée, mais j'ai beaucoup mieux : il y a un jardin nocturne organisé dans le parc M, tu viens avec Henry et moi ? » Je n'aime pas le « Henry et moi » et je ne peux m'empêcher de grincer des dents. Tenir la chandelle n'est pas une perspective des plus réjouissantes. Ils vont encore se parler de gens que je ne connais pas et dont je ne souhaite avoir de nouvelles.
Je tape dans google les mots clefs « jardin nocturne », « parc M », et je tombe sur un article avec les informations nécessaires. 15 euros l'entrée pour un tarif réduit, voire aussi cher que deux livres achetés à la Fnac, est-ce que ça ne choque que moi ?
Le jour J, je ne sais pas quoi me mettre comme d'habitude. J'aurais dû passer par Univest avant, ce sont des basiques mais au moins en achetant ces vêtements, on ne risque pas la honte et ça fait assez habillé pour une sortie. Tout mon placard est sens dessus dessous et ce n'est pas pratique pour me trouver une tenue appropriée, mais je finis par dénicher un jean avec des zones d'ombre un peu louches et le pull le moins large possible.
Quand j'arrive au lieu du RDV, Tine et Henry sont déjà là-bas. Je m'attendais à ce qu'ils se bécotent à pleine bouche comme au début de la relation mais non, se retiennent-ils ?
« Tiens, Caro, voilà ta place, j'ai déjà payé. » Tine me tend mon billet et je souris : « Fallait pas, c'est trop chou, en plus j'ai failli réserver sur le Net. Heureusement, je n'en ai rien fait. »
Quand nous entrons dans le parc, je suis happée par sa déco avant-gardiste. A mi-chemin entre une atmosphère contemporaine avec des tubes multicolores qui sont presque aussi hauts que les arbres, et le style baroque des costumes des danseurs. Au loin résonne du jazz, mais je n'arrive pas à identifier la chanson. Pas que je sois spécialiste, loin de là. J'ai tendance à écouter du rock des années 70 ou des tubes populaires de kpop. Pas très loin, il y a une piste de danse et un bar.
Comme il me faut un prétexte pour fausser compagnie et laisser les deux tourtereaux tranquilles, je me lance sur la piste et commence à faire de grands mouvements plus ou moins structurés : j'ai appris la danse à six ans, forcée par ma mère qui était danseuse et actrice de série B avant de quitter mon père pour un autre homme. Je lève les bras en l'air et fais des cercles, plie mes genoux, balance mes cheveux d'avant en arrière, ferme à demi les yeux, et petit à petit, toute une troupe se resserre autour de moi pour m'observer, bouche bée. Le tenancier de bar, qui se tient à trois mètres, finit par s'approcher. Il me chuchote à l'oreille : « Si vous dansez pendant 20 minutes, et que vous arrivez à attirer le maximum de clients, je vous offre une bouteille de vin gratuitement, et vous pourrez en profiter avec vos amis. » Je souris, voilà là l'occasion de rembourser le billet que m'a offert Titine, je ne souhaite plus profiter de sa gentillesse exagérée.
Je lève un pouce en l'air, signifiant : pas de problème mec, vous serez satisfait à cent pour cent. Je fais un pas de twist, puis continue dans la logique de mes mouvements. En même temps, je fredonne le rythme doucement pour m'imprégner encore plus du son de la mélodie. Déjà, j'ai oublié que j'étais venue accompagnée de Tine et d'Henry, qui doivent être loin, ou sur un pont en train de se bécoter.
Soudain je sens deux mains m'enlacer par la taille. Je me retourne : il s'agit d'un mec assez canon, presque aussi mignon qu'Henry sinon plus. Il a les cheveux bruns bouclés et une bouche à se damner, ses yeux sont en forme d'amande et son regard perçant illumine la piste. « Poupée, tu as un corps fait pour danser, me chuchote-t-il de sa voix suave. Je t'offre un verre ? » J'acquiesce, ne trouvant pas de bonne excuse pour refuser. « Comment t'appelles-tu ? – Charles Ducormier. »
Surprise, j'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. C'est le frère d'Henry, parti aux Etats-Unis pour faire un bachelor en économie. Peut-être est-il revenu hier, à la dernière minute, sans même l'annoncer à son frère, ce qui doit être assez courant dans la famille. Je ne l'avais jamais rencontré jusqu'à présent. Mais il est encore plus beau en vrai. Bien plus que ce qu'on en raconte sur lui. Sa voix grave et sexy en diable fait vibrer le sol et s'entrechoquer les verres de vin en cristal...
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Up To You, Soybean Nerd
Teen FictionCaro , 1m62, coréenne, maigre comme un clou, mange des algues à chaque repas et binge sur toutes les séries coréennes disponibles en streaming. Elle tient un blog littéraire où elle poste les anecdotes de sa journée et des critiques de livres. Ell...