Je ne sais pas pourquoi mais sur le moment, je ne lui révèle pas tout de suite que je connais son frère. Je lui dis que je souhaite aller aux toilettes un petit instant. C'est un prétexte pour remettre mes idées en ordre et réfléchir au comportement à suivre.
Quand je ressors de la cabine, je ne peux pas accéder aux lavabos car une autre asiatique beaucoup plus pulpeuse que moi a déjà pris place, étalant tout son maquillage de sorte que personne ne puisse se laver les mains. « S'il t'offre un verre, c'est un code, il faut que tu acceptes de tout faire avec lui, me dit-elle de sa voix attirante. » Elle se retourne vers moi attendant que je réagisse. Comme je n'en fais rien et me contente de la fixer d'un air niais, elle insiste : « Je t'ai vue avec Charles. C'est vrai qu'il aime bien les nanas de ton genre. Fine, avec un joli visage ovale et un petit cul bien ferme, t'as tout pour lui plaire. Mais je te préviens d'un truc. » Elle laisse sa phrase en suspens, referme son trousseau de maquillage d'un bruit sec et se rapproche de moi.
Elle me redresse le menton pour m'observer sous toutes les coutures, sans en rater une miette : « Son but est de te mettre dans son lit, mon petit chat, c'est clair. Qu'est-ce que tu crois, pour lui on est des racailles, ça saute aux yeux. » Elle me caresse les cheveux, hausse les épaules et s'éloigne tout en se dandinant sur ses talons aiguilles de 8 centimètres.
Je baisse la tête et me mords la lèvre nerveusement. Elle a l'air un peu folle, mais elle n'est pas bête et beaucoup plus raisonnable que moi. Je sors d'un pas décidé, et retrouve Charles au comptoir du bar, en plein dialogue avec le garçon de café. « Le tenancier de bar m'a dit tout à l'heure que j'avais droit à une bouteille de vin rouge gratuitement si j'arrivais à attirer le maximum de personnes en 20 minutes. C'est fait, non ? » Le garçon de café tire la tronche, il n'est pas content qu'on le dérange en pleine discussion avec un client plus important que moi. « Ouais, ouais, ouais... dit-il d'une voix cassée. J'arrive dans deux secondes. »
Il ouvre la bouteille de vin et me la tend. Je verse un verre de vin à Charles. « Voilà, plus besoin de m'offrir un verre. C'est pour toi ! » Comme de toute façon il me considère déjà comme une racaille, autant se la jouer racaille jusqu'au bout. « Alors, c'est de cette manière que tu peux avoir des verres de vin sans payer et sans se faire inviter ? C'est malin, ça. Je devrais prendre exemple sur toi. » Il rit et je vois que je l'amuse. « J'ai mieux ! » Je prends la bouteille à deux mains, bois au goulot et descends au moins la moitié. Il me reprend brusquement la bouteille et m'embrasse sans hésiter. « Tu m'excites drôlement baby... t'as un petit côté piquant qui me plaît. » Il joue avec mes cheveux, le col rond de mon pull et sa façon de chercher ma langue à tâtons se fait de plus en plus précise. Il est sur le point de me caresser le cou quand j'entends derrière moi un raclement de gorge.
« Ah, mais mon frérot fait vraiment n'importe quoi quand il est bourré ! » Je me retourne et j'aperçois le minois bien familier d'Henry, avec un air très contrarié sur le visage. « Tu as faim parce que tu n'as pas mangé ? Sache que tu tombes sur un mauvais plan, cette coréenne est trop maigre et schlingue du kimchi. » Toujours contrarié, Henry prend la bouteille et allait également boire au goulot, mais je me souviens d'un truc à temps et je l'arrête dans son geste : « Aaah, mais où est Titine ? Je voulais lui offrir un verre. » « Quoi ? Tu bois au goulot et tu veux lui offrir un verre après ? Bravo l'hygiène ! » Là, il se retient plus et éclate de rire. Il fait un geste vague de la main droite et une moue, l'air de penser Elle est folle, celle-là. Je n'ose lui rappeler que lui aussi, il allait boire au goulot malgré le fait que j'y aie touché... « De toute façon, qu'attendre de plus de la part d'une coréenne qui garde des kleenex crades dans la poche de son manteau, hein, je te le demande Charles. » Comment savait-il pour les kleenex ? Je croyais être la seule détentrice de ce secret.
Depuis qu'Henry est arrivé, Charles semble tellement ahuri qu'il n'émet plus le moindre son. « Parce que vous deux, vous vous connaissez ? » « J'aurais préféré ne pas la connaître, tu vois, répond Henry du tac au tac. Mais c'est la meilleure pote de ma petite amie. » « Ce qui explique pourquoi vous vous entendez si bien, haha. » A ce moment-là, Titine arrive et examine avec étonnement notre trio étrange. « J'étais partie acheter des biscuits oréo, explique-t-elle. Je ne m'attendais pas à vous voir tous réunis ici. Et Charles, je te croyais toujours aux US ? » « A vrai dire moi aussi, dit Henry. » Nous rions, et l'atmosphère commence à se détendre petit à petit.
Après avoir papoté un instant, il commence à pleuvoir. Henry et Titine marchent devant à la recherche d'un abri-bus, tandis que j'essaie d'éviter les flaques d'eau qui se forment à mes pieds. Mon collier argent or avec un pendentif en forme de hibou tombe dans une des flaques d'eau. Je me penche pour le ramasser dans la crasse, quand Charles me tire en arrière pour me retenir : « Ne te salis pas, je t'en offrirai un autre. »

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Up To You, Soybean Nerd
Teen FictionCaro , 1m62, coréenne, maigre comme un clou, mange des algues à chaque repas et binge sur toutes les séries coréennes disponibles en streaming. Elle tient un blog littéraire où elle poste les anecdotes de sa journée et des critiques de livres. Ell...