Je regardai ce gosse.
Il avait les cheveux châtains, les yeux amandes, le visage long.
Au niveau de sa maxillaire droite se dessinait un semblant de grain de beauté.
Contrairement à certains il n'avait pas un teint cadavérique;il était même un peu bronzé.Bizarre pour un mois de février.Je tournai les yeux vers une jeune fille qui se trouvait deux chaises plus loin.
Elle avait le visage rond,une queue de cheval de laquelle s'échappaient deux mèches doucement ondulées.Cette adolescente portait une paire de lunettes rondes et noires qu'elle remontait toutes les minutes.Elle, elle avait un teint cadavérique,presque verdâtre et des cernes violettes qui effaçaient la douceur de son visage.
Elle regardait ce garçon avec une émotion...particulière.
Ce n'était ni de la haine, ni de la honte, ni du dégoût mais de l'amour avec une pointe de tristesse.
Moi, l'Amour avec un grand A c'est un sentiment que je ne comprend pas. Je comprend l'amour fraternel, maternel, paternel mais l'Amour, je ne comprend pas. Comment peut-on aimer quelqu'un à en perdre la raison, à l'aimer plus que sa propre vie?
D'ailleurs, j'ai oublié de me présenter, je m'appelle Jean-Bernard, j'ai 32 ans. Mon métier, je n'en n'ai pas vraiment. En fait je suis un peu comme un inspecteur: discret mais toujours là.
Alors oui toi qui es derrière cet écran tu dois te demander pourquoi je n'ai pas de métier. Bein figure-toi moi aussi, c'est cocasse.
Bref retournons à nos deux tourteraux. Enfin,à notre tourterelle et à l'autre pigeon qui veut pas d'elle.
Oui, elle est folle dingue de son air adorable mais rebel, de sa beauté qu'il cachait sans le savoir, de sa voix magique qui muait. Malheureusement lui il ne l'aime pas. Pas genre pas. Il n'aime ni son visage rêveur, ni ses yeux si profonds qu'on s'y perd, ni sa bouche en coeur, ni son intelligence précoce, ni sa joie, ni ses pleurs, ni ses peines. Pour faire court il ne l'aime pas.
En revanche un autre l'aime. Petit, bronzé, fin, les cheveux noirs.
Il aimerait tellement partager ses peines, ses joies, ses pleurs, ses nuits, ses jours... son esprit.
J'inspecte le reste de la classe et le professeur. Je regarde tout j'analyse tout.
La cloche sonne.
Tout le monde sort sauf moi. Je reste dans le vide. Seuls les livres m'apportent un peu de compagnie. Une compagnie maigre certes mais une compagnie.
J'adore leur odeur doucement acide, le toucher des pages jaunies sur mes doigts rugueux, l'histoire qu'ils renferment, les cris, les joies, les peurs, les peines, les victoires de leurs héros.
Parmis l'immense quantité d'ouvrages j'en prends un au hasard.
"Roméo et Juliette" tragique mais beau. Ce soupçon d'espoir qui meurt à jamais quand Roméo avale le poison est particulièrement merveilleux .
La pause se termine. Combiens ai-je passé de temps seul perdu dans mes pensées?
15 minutes! C'est déjà trop .
Je ne veux pas quitter cette adolescente en plein tumulte sentimental mais je dois partir. De toute façon on se reverra bien.