Chapitre 15 - #2

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— Il faut qu'on dégage de là ! On dirait que l'IPOC a envoyé deux unités en reconnaissance dans le secteur. Ils sont lourdement armés et n'ont pas l'air très contents. C'est possible qu'ils soient là pour nous.

— Pour nous ? répété-je incrédule.

— Je les ai entendus parler de ce qu'il s'est passé sur la Grand-Place à Orléans. Ils sont sur les dents. Crois-moi.

Je veux bien le croire, mais... depuis quand le NGPP et l'IPOC travaillent main dans la main ?! Ils passent leur temps à se foutre sur la gueule ces cons. Devant mon manque de réaction immédiate, il m'attrape par la taille en prenant soin d'éviter ma blessure, pour me faire descendre du bar et m'entraîne derrière lui en courant. Au loin j'entends effectivement quelques véhicules et des voix résonner au-dessus de la ville fantôme. Nous courons à perdre haleine sur une voie qui longe le fleuve de la Loire.

— Là !

J'attrape le bras de Khenzo pour l'arrêter et lui montrer un bois à un petit kilomètre devant nous, en contrebas d'une impasse qui ressemble à une future piste de course en pente.

— Ils n'iront pas fouiller les bois pour nous chercher..., supposé-je, le souffle court.

— Alors dépêchons-nous avant qu'ils nous voient !

Aussitôt, il me prend la main et s'élance à toutes jambes. Je peine à rester à hauteur, mais me fais violence pour y arriver tout en jetant un dernier coup d'œil derrière moi. Personne ne nous a encore vus. Nous avons une chance de disparaître dans la nature avant que les choses ne se gâtent.

Au bord de la rupture, l'abdomen déchiqueté par la douleur et le reste du corps fourbu, je me concentre sur ma course et sur notre objectif : les arbres. Droit devant nous. Mes pieds dérapent dans la poudreuse et mon compagnon raffermit sa prise sur ma main pour m'encourager.

Plus que trois-cents mètres. Sous la neige qui continue de tomber en abondance, Khenzo me tire derrière lui pour maintenir le rythme.

Plus que deux-cents mètres. Mon flanc gauche me fait affreusement souffrir, mais j'irai jusqu'au bout.

Plus que cent mètres. Encore un petit effort.

Plus que cinquante mètres. Nous nous engouffrons à toute allure sous les bois.

Les branches basses nous griffent le visage et les buissons épineux accrochent nos vêtements. Pourtant nous gardons la cadence. Au loin, j'entends les soldats qui continuent leurs recherches. Ils ne semblent pas nous avoir vus et plus nous nous enfonçons sous les bois, plus le danger paraît s'éloigner. Bientôt nous n'entendons rien d'autre que nos respirations haletantes et nos pas de course amortis par la neige.

Nous finissons par nous arrêter au pied d'une énorme souche d'arbre qui dépasse d'un talus. Khenzo a les joues et le front lacérés, les oreilles, le nez et les mains rougis par le froid. Sa poitrine se soulève à vive allure et un nuage blanc sort de sa bouche à chaque expiration.

Prise de nausées, je m'adosse à un arbre. La douleur me submerge, la tête me tourne, ma vision se brouille. Allez ! Tu ne peux pas t'évanouir maintenant ! La situation exige que je mobilise toutes mes forces.

Mon compagnon s'approche et me prend le visage entre ses paumes pour observer mes pupilles à la pâle lueur du jour qui traverse les arbres dénudés.

— On va s'arrêter là pour le moment, déclare-t-il. Tu n'es pas en état de continuer et moi non plus d'ailleurs.

Il inspecte la souche et me fait signe de le suivre. Sous le talus, un renfoncement entre les racines nous permettra de nous abriter le temps que la tempête se calme. Je passe en premier et me colle contre la paroi rocailleuse. Khenzo s'installe à son tour et colmate l'ouverture avec son manteau. J'enlève alors le mien et me rapproche du jeune homme qui a fini de gesticuler. Un peu maladroitement il me prend dans ses bras pour conserver la chaleur de nos corps et étend mon manteau sur nous.

D'abord crispée par la douleur et la fatigue, je finis par me détendre peu à peu et laisse même aller ma tête contre son épaule pour fermer les yeux. Quelle matinée de merde.

Impossible de trouver le sommeil, pourtant je suis épuisée. Trop de choses tournent dans ma tête. Trop d'images, trop de souvenirs, trop de peines. Sans m'en rendre compte, des larmes s'échappent entre mes cils et roulent le long de mes joues. Triste et épuisée, mais pas suffisamment pour plonger dans mes cauchemars. Non. Je n'ai pas la force de les affronter tout de suite. J'ai besoin d'un peu de répit.

Sentant ma détresse, Khenzo resserre un peu plus son étreinte. Sa présence me rassure, sa chaleur me réconforte et son silence m'apaise. Je n'ai pas envie de parler, pas envie d'évoquer ce qu'il s'est passé. Il doit s'en douter et respecte cela. Une chose de plus à ajouter à la liste de ses qualités. Cet homme est trop parfait pour être vrai. Sabrina me dirait d'arrêter d'être rabat-joie. Elle me manque... les autres aussi. Et Adrien...

Ma poitrine se gonfle d'un sanglot qui s'étrangle dans ma gorge. La mort de ma famille a ravivé le souvenir de celle du garçon à qui j'avais donné mon cœur. Je pensais avoir réussi à surmonter cette épreuve, mais en réalité, je me suis juste menti à moi-même durant tout ce temps. Et à cette ancienne douleur vient s'en greffer une encore plus grande. Je me sens mal. Terriblement mal. Je n'ai même pas de mot pour décrire la tempête qui fait rage sous mon crâne.

Peu à peu, je réussis néanmoins à me calmer, la présence silencieuse et enveloppante de Khenzo y étant pour beaucoup. Les minutes passent, les heures défilent et il est temps de se remettre en route.

— J'aurais préféré que tu dormes un peu, mais si tu n'y arrives pas, autant repartir maintenant. Je ne tiens pas à passer la nuit ici.

Ses premiers mots depuis qu'on se terre sous cet arbre. Je comprends qu'il ne tienne pas à rester plus longtemps dans le froid.

— Qu'est-ce qu'on fait ? demandé-je d'une voix éraillée.

— On s'en tient au plan. Sauf si tu vois une autre alternative.

Dans la pénombre je hoche la tête.

Horizons #2 - Déroute et des ruinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant