Chapitre 17 - #1

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jeudi 24 novembre 2107

J'ouvre les yeux, le cœur battant à tout rompre. Allongée sur le sol, la tête posée sur l'épaule de Khenzo, ce dernier m'entoure de ses bras. Sa respiration est lente et profonde, comme dans la maison bourgeoise. Apaisante.

Il ne fait pas chaud, alors même si je ne suis pas très à l'aise, je reste collée à lui, attendant qu'il se réveille à son tour. Lui aussi a besoin de repos. Et j'espère que le sien aura été plus réparateur. Je ressasse un moment ce qui a peuplé mes rêves cette nuit.

— Je ne sais pas ce que tu as dans la tête, marmonne mon compagnon, mais tu devrais arrêter d'y penser.

L'espace d'un instant, son étreinte se resserre avant de se relâcher. Le jeune homme se frotte les yeux énergiquement et je me redresse sur un coude pour lui laisser un peu de place.

— Tu as bien dormi ? demandé-je poliment.

— Mieux que toi si j'en juge ta tête, répond-il.

Je fronce les sourcils et me lève en grimaçant.

— Comment te sens-tu ce matin ? s'enquiert-il.

— Comme hier. Ça ira.

Khenzo se lève et rassemble ses maigres biens autour de sa taille. Sans plus attendre, nous décidons de nous remettre en route.

Dehors le jour s'est déjà levé et le froid persévère. Décidément, je n'ai jamais vraiment aimé cette période de l'année. Et je crois que je ne l'aimerai pas davantage à l'avenir. Elle restera synonyme de mort et de souffrance.

— Cette enflure paiera pour ce qu'il a fait, juré-je entre mes dents.

— Qui ça ? demande mon compagnon de route en posant une main sur mon épaule.

— Macrélois... Je ferai la peau à cet enfoiré quoi qu'il m'en coûte, rajouté-je après un long moment de silence.

Khenzo ne dit rien, se contentant de marcher à mes côtés.

Nous passons la journée sur la route, entre ruines désertes, hameaux animés, campagne glaciale. Nous refaisons le chemin en sens inverse pour rejoindre la position de Yasshem et j'aurais préféré le faire en voiture plutôt qu'à pied, c'est certain !

Alors que nous sortons d'un bois pour couper à travers champs et rejoindre plus vite la prochaine ville qui se trouve juste devant nous, je me prends les pieds dans une racine masquée par la neige et m'étale de tout mon long, avec une très grande classe. Un magnifique juron s'échappe de ma bouche alors que je crache la poudreuse que j'ai avalée.

Khenzo s'accroupit à mes côtés en souriant :

— Rien de cassé ?

— Si. Mon envie de marcher.

J'enfouis ma tête dans mes bras et lâche un soupir. La douleur, j'ai fini par l'intégrer et l'accepter ; elle est là, je la ressens vivement, mais je n'y pense plus vraiment. Elle fait partie de moi. Par contre, une nouvelle sensation s'est emparée de mon ventre depuis quelques heures déjà : la faim.

— Allez, relève-toi, déclare-t-il en m'enlevant un truc noir pris dans mes cheveux.

Je prends appui sur mes mains et au moment de pousser pour me relever, une pierre s'enfonce dans mon flanc à l'endroit de mon ancienne cicatrice. Les dents serrées, je retiens un deuxième juron au fond de ma gorge, mais le mal est fait. Cette autre douleur que je redoute tant éclate brutalement, balayant ma faim et ma blessure par balle comme si elles n'existaient pas. Je tente de garder un pied dans la réalité, mais affaiblie par mes récentes mésaventures, je n'en trouve pas la force nécessaire. Ma vision se brouille et lorsque je crois distinguer une masse sombre serpentant dans la neige, je reste agenouillée, complètement tétanisée.

— Khenzo..., murmuré-je tout doucement.

Le jeune homme, qui s'est retourné pour se remettre en marche, ne s'aperçoit de rien pour le moment.

— On est bientôt arrivé, dépêche-toi, me lance-t-il.

— Enlèv... enlève-moi ça... S'il... s'il te plaît...

Dans le coin de mon champ de vision, je le vois revenir sur ses pas et attraper la masse noire entre ses mains comme si de rien n'était.

— Tout va bien ? s'inquiète-t-il alors en s'accroupissant à nouveau à mes côtés.

— Je... j'ai la phobie des boas... enlève-moi ce putain de serpent de là !

Il brandit alors la masse sous mes yeux et je bondis en arrière pour me coller contre un arbre.

— Xalyah ! rit-il alors. Ce n'est qu'une branche !

Je me frotte les yeux pour essayer d'y voir plus clair, mais la douleur continue de me faire halluciner. J'ai beau me répéter que ce que je vois n'est pas réel, je reste paralysée par cette peur viscérale.

Voyant que je suis incapable de me reprendre, Khenzo jette ce qu'il tient dans les mains au loin et revient vers moi. Doucement, il m'attrape par les épaules et mes mains se cramponnent à lui.

— C'était une branche, Xalyah. Il n'y a pas de serpent ici.

La douleur s'éloigne avec mes peurs et je reprends peu à peu le contrôle de mes émotions. Une fois debout, j'époussette mon manteau et mon pantalon avant de croiser le regard mi-compatissant mi-amusé de mon compagnon.

— Je peux savoir ce qui t'a pris ?

— Je te l'ai dit, j'ai la phobie des serpents, réponds-je un peu trop sèchement.

— C'est une blague ?

— Garde ça pour toi, s'il te plaît.

Je rougis. Je ne blague pas. J'ai réellement développé une phobie des serpents. Des boas en particulier. Et visiblement ça fait beaucoup rire Khenzo.

— C'était une branche d'arbre, réussit-il à dire malgré son hilarité. Ça n'avait rien d'un serpent.

Vexée et blessée qu'il se moque ainsi de moi, je fourre mes mains dans les poches de mon manteau et me remets en route. Il me rattrape pour marcher à ma hauteur. Il a cessé de rire et pose une main amicale sur mon épaule.

— Je suis désolé. Je ne m'attendais pas à ce que la fille qui ne craint rien, ni personne, pas même la mort, soit tétanisée devant une branche d'arbre.

Je le foudroie du regard, mais garde le silence.

— Promis. Personne n'en saura rien.

Tandis qu'on franchit les portes de la ville, il essaye de réfréner un nouveau fou rire.

— Pardon, s'excuse-t-il à nouveau. Je sais que ce n'est pas drôle, mais...

— Je crois que j'ai compris, m'énervé-je. Rends-toi utile et va nous chercher un endroit pour dormir. Je vais essayer de nous trouver de quoi manger. On se retrouve ici dans une demi-heure.

Sans attendre de réponse de sa part, je pars de mon côté pour explorer les maisons avoisinantes.

Horizons #2 - Déroute et des ruinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant