Chapitre 17 - #2

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Je me sens honteuse d'avoir dévoilé une de mes faiblesses aussi facilement et terriblement vexée que Khenzo s'en soit moqué de cette façon. Je n'ai jamais eu peur des serpents avant. Je n'avais aucune raison d'en avoir peur. Les choses ont changé.

Du bout des doigts je palpe la fine cicatrice qui me lance encore un peu. Ma blessure par balle a certainement dû réveiller d'anciennes douleurs et il a suffi qu'une pierre aiguisée vienne appuyer au mauvais endroit pour déclencher une hallucination. Je dois renforcer ma vigilance pour ne plus me laisser surprendre de cette façon.

Au bout d'un bon quart d'heure, j'aperçois enfin des conserves au fond d'un placard enfoui sous les décombres d'une cuisine. En prenant soin de ne pas trop m'appuyer sur ma blessure, je m'allonge par terre pour ramper sous les poutres métalliques et les blocs de parpaing. Non sans difficulté, j'atteins les objets de ma convoitise et attrape les deux premières qui se trouvent à ma portée.

— Qu'est-ce qu'elle cherche la d'moiselle ?

Surprise, je recule précipitamment et me cogne le haut du crâne en me relevant. Deux hommes, d'âge moyen, la clope au bec, vêtus fraîchement pour la saison et armés de fusils à pompe, se tiennent dans l'embrasure de la porte de la cuisine. Ou du moins dans ce qu'il en reste.

— Messieurs, salué-je de la tête. Je cherche à manger.

— Et qui t'a permis de te servir comme ça ? demande celui qui porte une moustache et une barbe mal rasée.

— Il me semble que cette maison n'appartient à personne.

— Il te semble ? ricane l'autre.

Il est plus petit et plus ventru que son ami. Ses yeux d'un noir profond me reluquent d'une façon que je n'apprécie guère.

— Ici tout s'achète ma jolie, continue-t-il sur le même ton. On ne se sert pas comme on veut.

— Sauf que ça ne vous appartient pas et de toute façon je n'ai rien à vous échanger et encore moins d'argent.

— On peut s'arranger, rétorque le moustachu en m'adressant un clin d'œil vicelard. Hein Joe ?

Joe le ventru esquisse un sourire qui découvre des dents pourries jusqu'à la racine. Il a tout pour plaire ce charmant gaillard.

— Une bonne baise avec nous deux ma jolie et tu auras un repas chaud et un toit au-dessus de la tête ce soir. Le marché est honnête.

— Bien sûr qu'il est honnête, répète Joe.

— Je ne passerai aucun marché avec vous. Cette bouffe ne vous appartient pas. Je l'ai trouvée.

Je mets les boîtes de conserve dans mes poches et tente de gagner la sortie à grandes enjambées. Mais le type dénommé Joe m'attrape par la manche et me tire vers lui.

— Tu comptes aller où comme ça ? On a un marché à conclure tous les trois.

Sans prévenir, je le frappe au visage et me dégage de son étreinte. Son acolyte prend alors le relais et m'assomme à coup de crosse. Des étoiles plein les yeux, je titube et me retiens au chambranle de la porte qui oscille sous mon poids.

Les deux hommes reviennent à la charge et je les repousse du mieux que je peux, mais mon état m'empêche de prendre le dessus. L'un d'eux m'inflige un coup de poing dans le flanc qui me scie en deux, ravivant la douleur de ma plaie par balle. Je recule et pare un coup de crosse qui se dirigeait vers ma tête. Impossible d'éviter le deuxième tellement la souffrance me paralyse.

Alors, impuissante, je les regarde me traîner vers la seule maison de la petite rue encore debout.

Une fois à l'intérieur, ils me jettent sur la table de la cuisine. Je regarde autour de moi rapidement ; une table, deux chaises, une lampe et des meubles de cuisine qui ont l'air vides. Joe referme la porte derrière lui et commence à défaire sa ceinture tandis que le moustachu me maintient comme il peut sur la table.

— Vous savez les gars, dis-je le souffle court, ce n'est pas une façon de traiter les femmes.

— Ta gueule. T'avais qu'à être plus coopérative.

— Vous l'aurez cherché, prononcé-je en guise d'avertissement.

Ignorant mes propos, Joe s'approche de moi et baisse son pantalon alors que son comparse explore ma poitrine de ses mains sales. Répugnant. Jouant le tout pour le tout, je me contorsionne violemment et balance un pied dans les bijoux sacrés de Joe. Ce dernier s'écroule au sol en hurlant.

— Putain Mark ! Je crois qu'elle me les a explosées, braille-t-il en se roulant par terre le visage rouge. Fais-lui la peau à cette pute !

Profitant de l'hésitation de l'homme, j'effectue une roulade sur le côté, arrachant au passage la lampe qui était la seule source de lumière de la pièce. Je reçois quelques coups mal placés au niveau de ma blessure à l'abdomen. Ce n'est pas le moment d'être douillette, je dois rester concentrée. À tâtons, j'attrape une chaise et la jette violemment devant moi. Une troisième personne entre alors dans la pièce. À contrejour, je reconnais la silhouette de Khenzo qui se précipite vers moi :

— Foutons le camp, souffle-t-il.

— Je ne vais pas me faire prier.

Nous nous relevons et sortons précipitamment de la maison pour prendre nos jambes à notre cou. Une centaine de mètres plus loin ; nous nous arrêtons, essoufflés. Des étoiles dansent à nouveau devant mes yeux et je suis prise de vertiges.

— Xalyah ?!

Khenzo me soutient par le bras et je tente de retrouver mes esprits. Doucement, il écarte mon manteau pour vérifier ses soupçons. Les points de suture ont lâché et la plaie recommence à saigner abondamment.

— La vache, ils ne t'ont pas loupée.

— Je ne me sens pas très bien, confirmé-je d'une voix blanche.

— Pourtant il va falloir que tu tiennes le coup, rétorque-t-il en pointant du doigt les deux silhouettes qui courent vers nous.

Je hoche la tête et le suis au pas de course tout en maintenant une pression sur mon flanc pour contenir le sang qui coule. Derrière les deux hommes se mettent à nous tirer dessus. Khenzo tressaille, touché au bras par la grenaille. Aussitôt, il accélère le rythme et mes jambes me portent tant bien que mal à sa suite. Sa main trouve alors la mienne pour m'encourager et au bout de dix minutes et plusieurs intersections, nous nous arrêtons à nouveau. Autour de nous, je crois apercevoir quelques silhouettes aux portes et fenêtres des bâtiments qui se penchent pour voir ce qu'il se passe, pourtant personne ne nous vient en aide.

Horizons #2 - Déroute et des ruinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant