Chapitre 15 - #4

181 23 14
                                    

— Je n'ai vu personne.

La voix de Khenzo me tire de la torpeur morbide qui s'est emparée de moi. Je me relève pour croiser son regard couleur noisette.

— Tim a dû donner l'ordre à Nedj de décamper d'ici avant que d'autres renforts ne rappliquent dans le coin. On devrait retourner là où on avait garé le Crossover pour voir quelle direction ils ont prise.

Un dernier coup d'œil à l'arbre et à la soixantaine de tombes qui nous entourent, puis je me tourne à nouveau vers mon compagnon :

— Je te suis.

Après quelques minutes de marche, nous retrouvons l'endroit concerné. Rien. Nada. Aucune piste. Après quatre jours, toutes les traces qu'ils auraient pu laisser ont disparu avec la neige et la pluie. Le visage de Khenzo se décompose à mesure qu'il arpente la rue à la recherche du moindre indice qui nous mettrait sur la voie.

Sans armes ni nourriture je ne donne pas cher de notre peau. Je m'assieds sur la carcasse d'une voiture brûlée et lâche un soupir de désespoir. Pour couronner le tout, la neige recommence à tomber. Khenzo revient vers moi et s'assoit à mes côtés avec toute la lourdeur de sa déception. Il ne pense même pas à resserrer le col de son blouson en cuir pour se protéger du froid.

— Qu'est-ce que tu veux faire ? me demande-t-il les yeux dans le vague.

— Je ne sais pas. Tim avait parlé d'une base militaire.

— Vers Vichy oui...

... mais partir à l'aveuglette sans ressources par un temps pareil n'est pas notre meilleure option. Vichy se trouve à trois-cents bornes d'Orléans environ. Nous ne pouvons pas entreprendre un tel périple comme ça. Je dois reprendre des forces. On doit s'équiper. Peut-être que Yasshem pourrait nous accueillir le temps que ce soit possible ? Peut-être même qu'il possède un système de communication et qu'on pourrait trouver un moyen d'entrer en contact avec Tim ?

— Ce n'est pas la porte à côté, répond Khenzo quand je lui soumets mon plan.

— C'est plus proche que Vichy, mais si tu as une meilleure idée, je prends.

Il esquisse un demi-sourire. Ou plutôt une demi-grimace.

— Bien. Mettons-nous en route sans tarder alors, déclare-t-il d'une voix morne. On se les pèle ici.


Nous marchons à un rythme d'escargot jusqu'à la tombée de la nuit. Je suis éreintée, j'ai mal, je suis triste et de mauvais poil.

N'ayant plus la force de continuer, je désigne une boutique abandonnée qui fait l'angle d'une rue que nous traversons.

— Là, ça t'irait ? demandé-je péniblement en me tenant le flanc pour endiguer la douleur.

Khenzo me regarde de haut en bas, tourne la tête vers le magasin, se gratte le cuir chevelu frénétiquement, hésite. Ses yeux soucieux s'arrêtent à nouveau sur moi et il fait un pas pour s'approcher et me toucher le front du bout des doigts.

— Tu es brûlante.

— Je sais. Je... il faut que je m'arrête. S'il te plaît.

— Tu n'as pas à me supplier. Il fallait le dire plus tôt que ça n'allait pas.

— Je n'avais pas envie de nous ralentir plus que ça, réponds-je en baissant les yeux devant l'intensité de son regard.

— C'est toi qui vois, lâche-t-il avant de se détourner pour pénétrer dans le bâtiment.

Je le suis. À l'intérieur, il nous faut un moment pour nous habituer à l'obscurité ambiante. Lorsque je finis par fermer la porte, le grincement émis par cette dernière m'arrache un long frisson. Ce devait être une épicerie, avant qu'elle ne soit pillée et saccagée. Les étagères sont sens dessus dessous, des sachets vides et des morceaux de bouteilles cassées jonchent le sol. Nous passons dans la rangée des produits ménagers lorsqu'une forte odeur de pisse nous prend à la gorge.

— Tu es sûre de vouloir dormir ici ? demande mon compagnon sans se retourner.

— Oui.

Après avoir sillonné l'ensemble des étalages, nous nous arrêtons devant une porte qui doit donner sur les réserves. Elle semble bloquée et Khenzo se voit obligé de donner plusieurs coups d'épaules pour l'ouvrir. Là, dans cette immense pièce, d'autres étagères, qui devaient contenir les stocks en réserve, ont été renversées également. Les cartons éventrés moisissent un peu partout et nous trouvons le même bazar que dans les rayons du magasin.

Nous rassemblons des bâches en plastique qui traînent dans un coin, puis dans l'angle qui fait face à la porte nous les disposons au sol pour nous isoler au mieux du froid. Dans un grognement peu gracieux, je me laisse glisser le long du mur pour m'asseoir.

— Tu veux que je jette un œil ?

Nouveau grognement de ma part. Qu'il prend pour un oui. Il s'agenouille à mes côtés et déboutonne mon manteau sans me demander la permission. À plusieurs reprises il aurait pu me faire du mal ou avoir la main baladeuse, mais jamais il n'a eu un geste déplacé à mon égard alors je le laisse faire sans broncher. Il soulève mon t-shirt et s'écarte de la trajectoire de la lumière du clair de lune passant par la seule lucarne de la pièce qui se trouve au-dessus de nos têtes.

— La plaie n'a pas l'air infectée en surface, mais le fait que tu aies de la fièvre m'inquiète.

— Arrête de t'inquiéter, ça va aller. Et même si ça n'allait pas, ça ne changerait rien pour toi.

— Que veux-tu dire ? demande-t-il d'un ton brutal.

— Rien... je ne veux rien dire.

La tristesse qu'il lit sur mon visage adoucit ses traits et il pose une main calleuse et chaleureuse sur ma joue.

— Je ne vais pas t'abandonner, si c'est ce qui te fait peur, murmure-t-il.

— Je n'ai pas peur.

Il soupire et retire sa main avant de se relever.

— J'oubliais : tu n'as peur de rien, ni personne.

L'ironie qui transparaît dans sa voix me blesse plus que je ne l'avouerais. Le jeune homme s'assoit un peu plus loin et défait sa ceinture pour s'alléger de ses sacoches et sa casserole.

Ce soir, il n'y aura rien à manger. Je repense à la pomme qu'il m'a donnée ce matin à l'aube. Mon seul repas de la journée. Mon estomac se tord, réclamant un peu de nourriture pour faire son travail. Mets-la en veilleuse mon coco, car pour l'instant on est en période de jeûne.

Les mains sur le ventre, je pose ma tête contre le mur et ferme les yeux. 

---

Coucou la compagnie,

Nous voilà arrivés au terme de ce premier chapitre !

Alors... content(e)s de retrouver Xalyah et... Khenzo ? Vous pensiez que ce dernier allait l'abandonner à la fin du tome 1 ou ça ne vous a même pas traversé l'esprit ?

Des hypothèses sur la suite des aventures pour notre duo de choc ? Moi je trouve qu'ils sont plutôt en mauvaise posture. Bon, je sais, vous allez me dire que c'est de ma faute, mais... promis je les adore, mais... l'histoire étant ce qu'elle est, ils ne sont pas au bout de leur peine !

Et à votre avis, qu'est-il advenu des autres ? Dites-moi tout, je suis curieuse !

J'ai hâte de partager avec vous le chapitre suivant :)

Horizons #2 - Déroute et des ruinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant