Quelques semaines plus tard, je reprends le chemin du lycée en classe de seconde, et j'avoue que j'y vais sans vraiment savoir pourquoi.
Il est de ces réalités que je n'étais pas prête à recevoir et qui rendent toute tentative de bien-être illusoire.
A quoi cela sert-il d'apprendre des formules, des règles, à préparer son avenir quand on ne sait même pas de quoi le nôtre sera fait, que nous ne sommes plus rien pour l'instant, seulement un cerveau fonctionnant de manière tout à fait automatique.
Après l'école vient le temps de rentrer chez soi, et je crois bien que c'est le pire moment de la journée, se retrouver dans cette grande maison qui désormais me parait si vide. Rien n'a bougé, rien ne semble avoir changé et pourtant si.
Tout a changé et j'ai l'impression que sa disparition m'a transformé le coeur en dentelle.
Avoir vécu avec lui et apprendre à survivre sans...
Il manque une âme, une personne, un pilier, il manque lui
Antoine
Comment doit-on réagir dans ces cas là? Comment je dois me comporter face à ma famille dévastée, après tout je n'ai que quinze ans. Y a t-il une formule magique pour tous ces mots qui saignent? Est ce que je suis capable de supporter et d'endosser toute cette peine?
C'est ce que j'ai cru fût un temps.
Je pensais pouvoir toujours tout contrôler, mes émotions, les moments de doutes, de stress et ceux de vide, de moins bien.
Vous savez, ce sentiment de vide qui vous transcende, qui vous prend dans chaque partie de votre corps, qui réveille en vous un sentiment d'impuissance (que vous n'avez peut être jamais eu, mais aujourd'hui il est là et bien réel vous le voyez, vous le sentez et vous ne pouvez que l'admettre) et qui vous rappelle sans cesse que vous n'êtes plus la même personne, quelque chose a changé.
Pour moi, c'est clair quelque chose a changé mais quoi exactement? La façon dont je me perçois maintenant? Celle dont je perçois les gens qui m'entourent? Ou la façon dont je perçois la vie dorénavant?
Pour le moment, cela reste un sentiment inexplicable.
A ce moment-là, j'ai eu ce sentiment bizarre, cette impression d'être née trop tard ou trop tôt pour vivre ma vie.Je n'attends juste que les lendemains se dépêchent de jouer leur rôle.
Je me suis toujours demandée, quand les disparus cessent-ils d'être une pensée douloureuse pour devenir une pensée calme? A quel moment peut-on rouvrir un album de photos sans éclater en sanglots, une boîte de musique sans la refermer aussitôt? Combien de temps cela exige t-il? Y a t-il une règle? une moyenne? Evidemment, il s'agit d'une interrogation imbécile mais comment échapper à l'imbécilité quand on a aussi mal?
Et puis les mois passent, l'hiver est là et je l'ai passé recroquevillé sur moi-même, j'avais froid mais ce n'était pas la température, c'était juste moi et mes blessures.
Papa allume ce feu de bois que nous adorons tout particulièrement en cette saison. Ce feu de bois qui réchauffe la maison, et parfois même nos coeurs...
Plusieurs mois se sont écoulés, j'ai compté les jours uns à uns, pas de lui à l'horizon.
Son absence je la ressens si fort que c'est devenu une présence.
Le problème avec ce genre de situation c'est qu'il faut assurer dans le reste de nos vies, non bien que j'en ai forcément envie mais il y a cet instinct, sentiment qui réside en chacun de nous. C'est lui qui nous pousse inconsciemment à se lever chaque matin et accomplir une nouvelle journée.
Il est là à chaque instant de nos vies, et notre corps y fait appel dans les moments compliqués, quand vous n'avez aucune raison, aucune motivation, c'est là qu'il est le plus présent. Sans quoi, nous n'existerions pas.
Pour moi, le « reste » c'était le lycée, mes professeurs ont toujours été assez indulgents avec moi et se sont montrés quelques peu compréhensifs à de nombreuses reprises. Peut-être comprenaient-ils ce que je vis? Peut-être avaient-ils pitié?
J'avais parfois besoin de sortir de cette salle de cours où j'étais présente presque physiquement juste, sortir pour respirer à plein nez, le froid se chargeait de sécher cette petite larme que je retenais.
Dieu que cela faisait du bien !
Avec ce début d'année scolaire peu commun, je n'avais pas vraiment eu le temps d'apprendre à connaitre tous mes camarades de classe, ni même de retenir certains prénoms.
La seule personne que je connaissais bien, et pour cause nous nous connaissions depuis toujours, était ma meilleure amie, Marie. Quelle chance incroyable j'ai de l'avoir toujours eue à mes côtés, la seule personne qui m'a connue avant et après. Elle est comme ma soeur.
Je ne les connaissais pas, et eux non plus. Et pourtant, j'ai reçu des tas de petits mots, de lettres, de fleurs. Mon retour parmi eux était désormais plus facile à appréhender pour moi.
Je suis revenue et ils m'ont accueillie, sans forcément me parler de ça. Je voyais pourtant dans leur regard tout ce qu'ils n'osaient pas me dire, regards que j'essayais souvent d'éviter pour ne pas flancher, là, devant eux.
Et puis ils sont devenus beaucoup plus que de simples camarades de classes, eux se connaissaient déjà et formaient un bon groupe.
J'ai commencé à les fréquenter hors du lycée, il y avait des soirées, des anniversaires, des pauses cafés après les cours. C'est là que j'ai su, j'ai su qu'ils seraient dans ma vie pour un long moment.
Pendant ces moments où nous étions ensembles, l'instant d'une seconde j'étais comme eux...
Décembre 2012, Noël approche.
Un an auparavant, on trépignait encore d'impatience à l'idée de partager ces moments en famille, ces jours de fêtes que l'on attend toute l'année.
Il était là, et par conséquent cette magie de Noël aussi.
Je me souviens que l'on mettait tous les trois nos chaussons au pied du sapin en attendant la fameuse visite dans la nuit.
Le matin même, il se réveillait, les yeux scintillants de bonheur. Oui il était passé, et lui avait déposé tous les cadeaux qu'il avait commandé, mon dieu ce sourire sur son petit visage et cette jolie fossette... qu'est ce qu'il était heureux mon Antoine.
Nous sommes le 24 décembre, en famille autour d'une table bien remplie, des chants de Noël en fond.
On discute, chacun se regarde, se sourit et puis maman a quelques mots à nous dire..
A cet instant là, on voit sur les joues bien rosées de chacun des larmes couler, et sur les miennes aussi l'émotion est trop forte.
C'était quelques mots pour dire à tous à quel point nous les aimions, à quel point le fait d'avoir une famille comme celle-ci nous était indispensable, à tous les quatre.
Le lendemain, c'est encore un jour de fête, et à l'intérieur un trop plein d'émotions.
Je ne manque pas de leur dire que je les aime, on s'enlace et s'embrasse.
Où est-il à ce moment là? Fête-il Noël comme nous? Une chose est sûre, nous sommes pendant ces deux jours en connexion permanente avec lui, l'instant de quelques jours, nous sommes encore cinq.
« On se rassure face à la souffrance qui nous serre le cou, en se disant que là où ils sont ils ont sûrement moins mal que nous. Alors on marche, on rit on chante mais leur ombre demeure, dans un coin de notre cerveau, dans un coin de notre bonheur »
La fin des vacances approche.
Ce soir c'est le nouvel an, le premier sans mes parents.
Heureusement, ils ne seront pas seuls ce soir là, c'est important.
Nous devions être une vingtaine ce soir là, il y avait à boire à manger, de la musique, on passe une très bonne soirée. Il ne manquait rien, quoique...
Et puis vient le fameux décompte, j'ai toujours trouvé ça fascinant de passer d'une année à l'autre en l'espace de quelques secondes.
Douze mois révolus, nous voilà en 2013.
Respect des coutumes oblige, nous nous serrons dans les bras, nous nous embrassons et nous souhaitons « Une bonne année », avant je rajoutais également « Puisse cette année vous apporter joie, santé, amour, bonheur »
Ce soir là je ne me contenterais que de ça, car pour l'instant l'avenir n'a plus vraiment de sens à mes yeux et je ne sais pas si c'est ton absence ou ce temps tragique qui me rend nostalgique.
Deux mois sont passés, bientôt place au printemps j'ai hâte, les beaux jours égayent mon moral!
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3 petits points...
SaggisticaL' « Après ». L'apaisement. Cette quête qui semble inaccessible ou trop loin pour pouvoir être atteinte un jour. C'est ce que j'essaie de trouver avec ces mots. 6 ans après, je décide de mettre à profit mon vécu, non sans mal. Non sans réflexion. C...