03. ON EST ASSEZ GAMINS POUR QUATRE

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LA NUIT N'ÉTAIT PAS ENCORE TOMBÉE. Le soir qui s'étirait semblait inviter à profiter jusqu'à la fin des temps de la place pétillante de vie. Une foule joyeuse, compacte, s'agitait sur les trottoirs, dans la lueur artificielle et clignotante des attractions de la fête foraine. On avait chaud le long de l'avenue, aveuglés par les rayons acérés du soleil pas encore couché, mais le mélange tiède de néons, de sucre et de vapeurs autour des baraques suffisait à arracher aux passants de grands sourires d'enfants. 

Assis sur un banc, près des machines à sous, un gang de septuagénaires riaient aux éclats, penchés sur leurs cannes comme des arbres tordus par le vent. Des petits groupes d'adolescents fendaient bruyamment la masse à grands renforts de coups de coude et de fous rires. Les parents tenaient fermement par la main leurs enfants, qui serraient dans leurs bras potelés une peluche, sosie immonde et de mauvaise qualité d'un personnage de dessin-animé. Les manèges tournoyaient, les stands et les baraques s'animaient de mille feux et les hauts parleurs crachaient  leur musique joyeuse et nostalgique. 

Dans les effluves de caramel, Jean-Sébastien faisait le pied de grue, scrutant de ses yeux émeraudes, étincelants dans les néons, les jeunes inconnus qui s'agitaient devant lui comme des danseurs sur la scène. Les filles avaient relevé leurs cheveux et raccourci leurs robes. Elles étaient belles et bruyantes, avec  leurs regards brûlants et leurs poses farouches. Les garçons, diamants à l'oreille, roulaient des mécaniques dans leurs débardeurs. 

Le blond pensa, avec une pointe au cœur, à ses amis, qu'il aurait voulu près de lui, et à son chez lui, si loin d'ici.

Il eut un petit soupir, interrompu par une vibration contre sa cuisse. Il extirpa de la poche de son jean fétiche son téléphone portable et jeta un coup d'œil à l'écran mille fois brisé.

DE: Marceau A: Jean-Sébastien

"On est aux auto-tamponneuses. T'es où?"

L'adolescent, sourcils froncés, tapota sur son clavier un sobre "j'arrive" et se mit en marche. Il avançait tranquillement, de sa démarche nonchalante, son rictus tordant ses lèvres fines, le regard planté au-dessus de la foule, sur le ciel rougeoyant. Traversant la foule, il essayait tant bien que mal de bloquer ses pensées aussi bien que les adolescents son chemin.

C'est un sentiment assez étrange, la solitude au milieu de la multitude et la nostalgie dans les cris de joies des fêtes foraines.

Perdu dans l'imbroglio de se préoccupations, poussé à droite et à gauche par les mouvements de la masse, Jean-Sébastien heurta par accident une petite chose écarlate, qui poussa aussitôt un cri de douleur et une exclamation scandalisée. En tournant la tête, le garçon put se rendre que la petite chose qu'il avait bousculée était une jeune fille, à la robe sanglante, aux tresses immensément longues et au visage agacé.

-Merde, tu peux pas faire attention?

Deux enfants hurlants, lancés dans une course-poursuite digne des meilleurs films d'actions, l'empêchèrent de répondre. Jean-Sébastien jeta derrière lui un regard désolé et le sourire navré du type qui-voudrait-bien-mais-qui-ne-peut-pas. Il reprit sa marche, moins rêveur et plus rapide.

Il entendit les trois hurluberlus de la boulangerie avant même d'avoir atteint le stand de la pêche aux canards. Quand il les aperçut, il fit sur le point de faire demi-tour, ou de s'étouffer de rire, ou les deux.

Sous les lampions, Maude, dressée sur la pointe des pieds, agitait les bras en hurlant comme un oiseau fou furieux. Augustin tapait des mains et riait aux éclats, accroupi, le menton à quelques centimètres au-dessus de la bassine en plastique remplie d'eau et de jouets multicolores. Marceau, le visage plissé par la concentration, tentait de glisser l'hameçon de sa canne à pêche dans l'anneau fixé sur le crâne d'un atroce canard d'un mauve criard.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 04, 2020 ⏰

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