Piégé

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Cette jungle impitoyable et obscure... Des jours que je m'enfonce toujours plus à l'intérieur, et je n'ai toujours pas trouvé la statuette... Cette statuette hante toute mes pensées. J'étais venu dans cette jungle pour la trouver, car elle porterait, incrusté dans son front, un rubis de grande valeur. On m'avait dit que l'expédition était dangereuse, et je m'étais promis d'abandonner si je rencontrais trop d'obstacles. Je tiens à la vie ! Mais j'ai brisé cette promesse. Dès que je suis entré dans la forêt, j'ai attrapé une maladie étrange. Des accès de fièvre, des vomissements. J'aurais dû m'inquiéter. Mais au moment où je m'apprêtais à faire demi-tour, nous sommes tombés sur un village autochtone. Le chef avait entendu parlé de la statuette, et il nous a indiqué le chemin. La statuette. Un jaguar nous a attaqué peu après. Un homme est mort. La troupe a pris peur, et la moitié des membres de notre expédition ont fait demi-tour. Ce qui nous laissait à une dizaine de personnes. Mon mal s'est aggravé peu après. Il m'arrivait d'avoir des crises : je criais, je courais dans tous les sens. Une crise durait environ une minute, et j'en avait deux ou trois par jours. Je commençais à faire peur à mes compagnons. Mais je ne voulais plus rien entendre. Cette statuette m'obsédait. La statuette. Ils m'ont quitté les uns après les autres. Les imbéciles. Ils n'auront jamais ma statuette. La statuette. Un seul est resté avec moi. Peu après qu'on quitte le village, il avait attrapé la même maladie que moi. Contagion ? Je ne sais pas. Mais il parlait de plus en plus de ma statuette avec envie. La statuette. Il avait des crises de plus en plus souvent. Presque autant que moi. Un jour j'ai eu peur qu'il veuille la statuette pour lui tout seul. Je lui ai dit de partir. Il a refusé. Il a désobéi à mes ordres. Mutinerie ! Il voulait la statuette ! La statuette. Je l'ai tué la nuit suivante, d'une balle dans la tête. J'ai failli mourir plusieurs fois depuis. Mais plus je sentais que je m'en approchais, plus je voulais cette statuette. La statuette.
J'ai des crises de plus en plus souvent. Hier, je me suis tordu la cheville lors de l'une d'elle. Je n'ai pas pu bouger pendant plusieurs heures. Quelle perte de temps. Quelle torture, alors que la statuette est si proche ! J'ai marché toute la nuit pour ne plus devoir attendre.
Je sens que je suis juste à côté de la statuette. La statuette. Le sol devient boueux. J'accélère un peu. Elle doit être là, pourtant je ne la vois pas. Je me rend compte que je suis en train de courir. Et soudain je la vois ! Juste là, à une vingtaine de mètre ! Je cours vers elle, je vole !... Et je ralentis. Pas volontairement, non ! Mais jambes sont enfoncées jusqu'au genou dans un marécage. Tant pis ! Elle est juste là, sur un autel en pierre, je continue d'avancer. Le marécage me frêne de plus en plus. Je m'enfonce, il me ralentit ! Il m'empêche de courir vers ma statuette ! La statuette. Je pousse de toutes mes forces, je dois la rejoindre ! Je ne suis plus qu'à quelques centimètres. Je tends ma main vers la statuette... La statuette. Et je n'avance plus. Je suis maintenant enfoncé jusqu'au cou. Impossible de bouger plus. Et je m'enfonce, inexorablement. Affolé de ne pouvoir saisir la statuette, je jette des regards autour de moi. Et je vois avec horreur des mains crispées émergeant de l'eau boueuse, tendues vers la statuette. Et je vois avec horreur la boue qui atteint ma mâchoire, et bloque ma tête, m'interdisant de regarder autre chose que la statuette. Le rubis sur son front scintille, comme pour me narguer. Et je m'enfonce. Je sens des forces contre lesquelles je ne peux rien m'attirer encore, loin de la statuette. La statuette. La boue pénètre dans ma bouche, me brûle les poumons. Je pousse un ultime cri, aussitôt étouffé sous la surface. Et comprenant que tout est fini, j'ai un court moment de lucidité, avant de mourir.
La statuette m'a piégé. La statuette.

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