La Décision

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La salle était à présent entièrement silencieuse. La veille pourtant, de longs débats agités avaient fait rage au conseil. L'air avait résonné des cris de chacun, car chacun avait voulu crier son point de vue, bien que chaque point de vue eût été plus un bête cri qu'une véritable idée, et que l'idée même qu'un de leur point de vue eût été juste eut fait crier n'importe qui.

Mais rien, en cette heure, ne pouvait laisser supposer que de tels cris avaient agressé l'atmosphère de cette pièce, où la moindre respiration paraissait odieusement grossière et inadaptée à la situation.

Oh, bien sûr, au matin, personne ne s'était privé de discuter avec son voisin, d'échanger avec lui ses analyses et son opinion. Mais chaque sénateur qui se levait pour marcher vers l'urne attirait d'innombrables regards, et monopolisait toute l'attention dans l'hémicycle. Chaque enveloppe qui passait par la fente pesait un peu plus sur l'assemblée et le silence s'intensifiait. On parla à voix basse. Puis on chuchota. 

Lorsque le dernier vote arriva, et que le dernier chuchotement se tut, il se leva pour assister au dépouillement. Contrairement aux autres personnes présentes dans la pièces, aux visages de plus en plus graves et solennels, un peu angoissés peut-être, lui avait accentué son sourire au fur et à mesure que le temps passait.

Peut-être  avait-il deviné que le silence général lui était de bon augure, peut-être l'écoutait-il comme la voix d'un complice qui vous confirme votre victoire, celle d'un ami qui vous amène en mains propres le trophée que vous avez enfin remporté ? Peut-être devinait-il le contenu des enveloppes en observant les expressions mi résignées, mi craintives des votants qui retournaient à leurs sièges ?

 Lorsqu'il gravit lentement les marches du promontoire pour annoncer le résultat du vote, tout le monde connaissait déjà les mots qu'il allait prononcer. Mais ceux-ci n'en tombèrent pas moins durement sur les sénateurs, qui n'étaient peut-être pas aussi convaincus de la justesse de leur décision qu'ils le laissaient paraître. Sur leurs fronts hauts et dignes perlaient des gouttes de sueur, et leurs mains serraient fermement leurs bâtons rouges, symbole sénatorial de leur pays, comme pour s'assurer de leur légitimité, comme pour justifier leur choix, comme pour se rassurer.

Lui seul, prononçant les mots qui tuent, les mots qui condamnent, semblait calme et serein. il soutenait admirablement cette phrase, avec la même assurance et la même tranquillité qui avaient persuadé les sénateurs. Il soutenait cette phrase qui semblait pourtant trop terrible, trop énorme pour tenir toute entière dans la bouche d'un seul homme :

"Nous partons en guerre."

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