L'attrait des eaux

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Elle roule à toute vitesse, en scooter sur la voie rapide. Plusieurs larmes perlent aux bords de ses grands yeux bleus, coulent sur ses joues pâles, et s'accrochent quelques secondes à son léger menton avant de lâcher prise et d'aller rejoindre son pull de laine déjà humide.

Ses longs cheveux bruns dansent librement, emportés par le vent : elle n'a pas de casque. Dans sa précipitation, elle l'a laissé sur la table du café où ils s'étaient donné rendez-vous, à côté du cendrier, contenant les cigarettes encore fumantes qu'elle avait allumées en écoutant ses explications.

Elle sort de la voie rapide, et est bloquée par un feu rouge.

Elle ne sait pas trop où aller. Elle veut juste fuir, loin de l'agitation perpétuelle et oppressante de la ville, loin du stress et du rythme effréné de son entreprise, et loin de lui. Elle était perdue, dans ces rues familières qu'elle parcourait au pas de course, pour ne pas perdre de temps, pour ne pas recevoir de remontrances de son patron dans une période de compression de postes. En allant loin de ce qu'elle a connu, elle espère se retrouver.

Elle sursaute, interrompue dans ses pensées par les coups haineux de klaxon des automobilistes, pressés, à qui elle bloque le passage. Elle regarde à droite. La lumière du feu vert est brouillée par l'eau de ses larmes. Elle s'essuie le visage avec la manche de sa veste en cuir, et redémarre le plus vite possible.

Sans s'en rendre compte, elle se dirige vers les quais. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu le temps de s'y rendre, pour admirer les flots. Elle a toujours aimé la mer ! Petite, elle y allait souvent avec ses parents et sa petite sœur, avec qui elle s'amusait à tenir le plus longtemps possible, immobile, en équilibre sur un vieux tronc d'arbre mort. Un platane, arraché à la terre par une tempête quelconque dans un pays lointain, et agité, tourmenté, ballotté par les vagues et les vents de l'océan pour être enfin déposé sur une plage, où il a pris sa retraite et se décompose, lentement, au milieu de rires d'enfants.

Elle monte sur le trottoir, arrête son véhicule, en descend, retire avec empressement les clefs qu'elle range dans sa poche à fermeture éclair, et l'attache à un panneau de circulation.

En marchant vers le muret en pierre, elle repense aux paroles de celui qu'elle aimait, qui lui reprochait son manque de disponibilité, sa tête toujours ailleurs, dans il-ne-savait quel dossier urgent qu'elle devrait passer la nuit à travailler, en enchaînant les clopes et les cafés.

Elle s'appuie sur le rebord et admire l'eau, sombre, tranquille. Il n'y a pas une once de vent. Les vagues, minuscules, ne dérangent le silence que par de doux clapotis, réguliers.

Quelques larmes encore, les dernières qui lui restent, la quitte et rejoignent la mer en dessinant de jolis ronds dans l'eau. Et cette eau, profonde, se reflète dans ces yeux qui l'aiment temps, s'y admire et s'y plaît. S'y plaît tant qu'elle aimerait que l'inconnue reste avec elle, pour qu'elles puissent mieux se connaître et regarder chacune son reflet dans l'autre, longtemps, éternellement même, dans une agréable quiétude, sans devoir penser à rien d'autre. Elles se ressemblent, au fond. Et Elise, qui n'est pas insensible à cet appel, aimerait y être, au fond. Tout au fond, pour se fondre dans celle qui lui rend son affection et la comprend, sans mauvais fondements.

Elle songe que ce serait agréable de faire l'étoile à la surface de cette eau, fraiche sûrement, apaisante. Personne ne penserait à venir la chercher ici, ni sa famille incompréhensive, ni ses supérieurs harcelants, ni ses ennuis irrésolubles, ni les bruits permanents des klaxons et des moteurs.

Et elle n'aurait plus alors qu'a expirer. Et à s'enfoncer, lentement, dans cette onde amie. Regarder une dernière fois les lumières de la ville à travers la surface, ne pas les regretter, fermer les yeux et puis les oublier. Les oublier ! Oublier tout, bien cachée par les eaux salées qui la protègerait. Et finalement, après quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures, peu importe, elle toucherait le fond et pourrait s'endormir. Dans un long et chaleureux sommeil.

Elle sauterait bien directement de là où elle est, mais cela ferait trop de bruit, trop de remous, elle attirerait l'attention, et puis elle dérangerait son hôte.

Alors elle prend le petit escalier, le descend marche par marche, sans se presser et sans pour autant appréhender ce qu'elle s'apprête à faire.

Arrivée en bas, elle pense à sa sœur et à la tristesse qu'elle éprouvera, mais chasse en secouant la tête ces prémices de remords qui ne compteront pour rien quand elle sera étendue sur le sable léger du fond.

Elise s'allonge à la surface de l'eau, s'éloigne un peu du bord à la nage. Et expulse de ses poumons l'air pollué de la ville qu'elle doit abandonner pour pouvoir goûter au repos.

La mer la prend dans ses bras et la berce doucement, en l'entrainant au plus profond d'elle-même.

Elise s'endort, et pour la première fois depuis longtemps, sourit.

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