Chapitre 1: Le Cahier

188 10 1
                                    

3 Février 2018

Aujourd’hui aura été une journée forte en rebondissements.

Tom, ton frère, m’a rendu visite ce matin plein d’enthousiasme. Il m’a parlé de son projet concernant la création de sa propre entreprise. Il a employé des termes très complexes et techniques tels que : « start-up », « crowdfounding » ou encore « business model ». On sait tous les deux que je n’y connais rien. Mais il avait l’air si fier, alors j’ai fait semblant de m’y intéresser.

Zahe Lemir s’est finalement installée à la maison. Je ne pensais pas revoir quelqu’un vivre ici, avec moi, depuis le décès de ta mère. Voilà bientôt un an qu’elle est partie. Honnêtement, je ne sais pas trop ce que Zahe Lemir peut bien trouver à un sexagénaire comme moi. Mais je compte bien profiter du dernier cadeau que me fait la vie.

Toi tu ne l’aimes pas. Tu passes ton temps à la regarder de travers sans un mot, comme si tu refusais l’idée que je puisse être heureux avec quelqu’un d’autre que ta mère. Tom, lui, ne lui accorde pas le moindre intérêt, on dirait qu’il ne remarque même pas sa présence. Ça me blesse, à quelque part, car je pense sincèrement que nous pourrions être heureux tous les quatre. Enfin… Tous les huit, j’ai tendance à oublier que toi et ton frère êtes tous deux mariés et que lui est d’ores et déjà père à son tour de deux fabuleux enfants. Je ne peux que lui souhaiter d’être comblé de fierté, par ces deux-là, comme je le suis moi-même avec vous.

Tu es venue manger chez moi, enfin, chez nous (il faudra bien t’y faire, je ne vis plus seul désormais) pour midi. Tu n’avais pas l’air en forme. Tu avais littéralement des poches violacées sous les yeux. Peut-être ne dors-tu pas assez en ce moment, ma fille.

J’avais préparé des pâtes à la carbonara, Zahe Lemir a eu la délicatesse de me rappeler que c’était ton plat favori. Tu n’as pas eu l’air d’apprécier, chose étrange, puisque j’ai suivi la recette de ta mère à la lettre !

Au cours du repas, j’ai pu voir ton anxiété se muer en une profonde amertume.

J’ai remarqué autre chose d’assez étrange. D’ordinaire tu accroches ton sac à main en bandoulière sur le dossier de ta chaise, mais pas cette fois, où tu l’as conservé sur tes genoux, prenant toujours soin à ce qu’une de tes mains soit posée dessus ; les doigts crispés, profondément plantés dans le cuir noir. Tu me connais, je suis très vieux jeu et je ne supporte pas que l’on ne se serve que d’une main pour manger. Mais vu ton état j’ai jugé qu’il valait mieux laisser passer pour cette fois. Avais-tu vraiment peur qu’on te le vole, ce sac ? Je n’arrêtais pas de m’interroger sur ce qu’il pouvait bien y avoir là-dedans, de si important pour toi.

Une fois le déjeuner terminé, nous sommes restés une petite heure, assis à table autour d’un café. J’avais beau tenter d’alimenter la discussion par tous les moyens possibles, tu semblais ailleurs, tu répondais par automatisme, complètement absente, dans le vague, des morceaux de phrases qui auraient pu aller avec tout et n’importe quoi. Tu devais déjà être en train de réfléchir à ce que tu allais me dire. Je n’osais pas te demander ce qui n’allait pas. J’étais sûr que ça avait un rapport avec ce que tu avais dans ce sac, et je commençais à en avoir peur. Lorsque tu as remarqué que je me souciais de ton état, tu as soudain repris connaissance, tu m’as raconté un tas de choses avec un enthousiasme faussé et un sourire artificiel. Je suis ton père, je sais quand la chair de ma chair me ment.

La Veuve BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant