Chapitre 6 : Le soir où je vous ai perdus

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18 Novembre 2018

Je crois que j’ai attrapé froid.

Zahe Lemir m’a dit que le manteau n’était pas nécessaire pour sortir en ville. Nous sommes allés prendre l’air en fin de matinée. Elle m’a aussi demandé de ne pas prendre mon téléphone avec moi. Nous devions passer cette journée ensemble, sans personne d’autre. Nous avons marché, beaucoup, plusieurs heures je crois. A un moment, une commerçante est venue nous parler. Elle a insisté pour que nous rentrions dans sa boutique. Ça a beaucoup agacé Zahe Lemir. Tout ce que nous voulions, c’était avoir la paix. Nous avons poursuivi notre route. Je l’ai vue nous suivre dans la rue sur une centaine de mètres et c’est à ce moment-là que je me suis énervé. Elle a fini par faire demi-tour. Moi aussi je voulais rentrer d’ailleurs, j’avais mal aux pieds. Zahe Lemir a insisté pour continuer encore un peu. Très vite, la température s’est mise à chuter. Il commençait déjà à faire sombre et elle a, enfin, décidé qu’il était temps. Il était tard, je ne voyais plus distinctement les immeubles. Et j’avais froid.

Il faisait déjà nuit quand une voiture s’est arrêtée juste à côté de nous. C’est Tom qui en est sorti. Il semblait affolé. Il m’a demandé de monter dans la voiture et ce n’était pas qu’une demande. Nous sommes restés longtemps à l’arrêt. Je savais qu’il allait crier. Il m’a dit que ça faisait deux heures qu’il me cherchait. Que tu étais passée à midi et puis vers 17h après ton travail. La maison était vide les deux fois, ça t’a inquiétée et tu as prévenu Tom. Apparemment c’est la commerçante de tout à l’heure qui l’a appelé pour lui dire qu’elle m’avait vu. J’ignore comment il peut connaitre cette femme d’ailleurs.

Tom nous a ramenés à la maison, tu nous attendais devant la porte, en pleurant. Ça faisait tellement longtemps que tu n’avais pas pleuré. Et je savais que c’était ma faute et ça m’a fait mal. Nous sommes rentrés à l’intérieur, la maison n’était même pas fermée à clé. Je me suis assis sur le canapé, tout mon corps tremblait. Vous m’avez couvert un peu et êtes allés dans la cuisine chauffer de l’eau pour une tisane.

Je pouvais vous apercevoir parler depuis le salon. Vos visages étaient graves et le sujet de votre discussion devait l’être aussi. Le bruit de l’eau qui bouillait m’empêchait de vous entendre. Et je crois que ce que j’aurais entendu ne m’aurait pas plu. Tom essayait de rester impassible, toi, tes yeux commençaient à briller. Les minutes passaient, tu as mis tes mains devant la bouche. Tu m’as regardé puis t’es remise à pleurer en secouant la tête. Tom a posé ses mains sur tes épaules et tu te serais effondrée s’il ne t’avait pas retenue. Des larmes coulaient sur ses joues aussi.

Je suis resté immobile sur le canapé. Vous êtes restés longtemps dans les bras l’un de l’autre. C’est là que je l’ai vue. Assise à l’autre bout de la pièce, juste à côté de la cuisine, Zahe Lemir vous dévorait du regard. Et semblait très satisfaite de ce qu’elle voyait et entendait.

Je me suis rendu compte, l’espace d’un instant, de tout ce qu’elle m’avait pris au cours des derniers mois, à moi et à vous. Puis j’ai réalisé qu’il était déjà trop tard.

Zahe Lemir s’est retournée vers moi et m’a adressé son sourire le plus cruel: Elle venait de gagner.

La Veuve BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant