Chapitre 1

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- « Aller un petit effort.... »

- « Je ne pense pas qu'il va prendre, le bois est trop humide. »

- « Mais non, mais non, tu es bien trop pessimiste Marc ! »

- « Juste réaliste Jean, juste réaliste. »

Tout à coup, un crépitement se fait entendre dans le bidon. Une petite flamme jaillit d'entre les branches mortes pour venir mordre petit à petit tout le bois. Le feu grandit jusqu'à atteindre la surface entière du bidon, servant de foyer. Jean poussa un cri de victoire devant les yeux ronds de son ami.

- « Tu es trop pessimiste vieux. » Rigola Jean en lui donnant un coup de coude dans les côtes. Marc lui répondit par un sourire, avant de tendre ses mains fraîches vers la nouvelle chaleur.

Bientôt, ils furent cinq autours des flammes, grelottant de la tête aux pieds dans l'air l'hivernale. Ici, l'hiver était rude. Beaucoup trop rude. C'était le troisième que Marc passait dehors, et il se demandait si cela serait son dernier. Un de ses nouveaux camarades y avait laissé la vie l'année dernière. Cela avait été un coup rude pour lui, ainsi que pour les quatre autres. Et c'est à ce moment-là qu'il avait réalisé la rudesse de sa nouvelle vie. Le regard de Marc se perdit dans le vague, observant sans les voir les flammes rougeâtres.

Sa vie avait pourtant été jusqu'à présent si parfaite. Il était né dans une petite famille que l'on pourrait qualifier d'aisée. Fils unique, il avait suivis les pas de son paternel, gérant d'une grande entreprise. Même si enfant, il aurait préféré devenir graphiste, cela avait été son devoir de succéder au patriarche. A 20 ans, il avait donc succéder à son père et pendant une dizaine d'années, il avait pris sur ses épaules le rôle de directeur et dirigeant. Ses parents avait été fière de lui. Il avait ensuite connu l'amour d'une femme et la joie d'avoir des enfants. Tout allait si bien. Son entreprise proliférait, ils avaient emménagé dans une grande maison près d'une forêt, où ils aimaient aller se balader et passer des moments ensemble. Ses parents venaient souvent les voir, et chouchoutaient beaucoup trop les petits. Sa famille était heureuse, tout était parfait. Or, à la mort de ses deux parents, atteint tout d'eux d'un cancer, le jeune homme avait eu une mauvaise surprise. Son père lui avait caché un endettement bien trop élevé pour être remboursé. Du moins, pour être remboursé avec le budget gagné d'une vie. Mais il avait dû le rembourser. Et il avait tout perdu. Absolument tout. Son entreprise, sa maison, et sa famille. N'ayant plus rien, plus un sou, sa femme un jour, était partie avec ses deux enfants, sans jamais revenir. Il les avaient cherché. Encore et encore. Rien. Son univers avait disparu. Quelques jours plus tard, alors qu'il vendait les derniers meubles de sa maison, et remboursait enfin les dettes de son père, Marc avait reçu une lettre. Ses jambes ne l'avaient pas soutenu. Il s'était écroulé par terre, la lettre de divorce dans les mains. Ajouté à cela, n'ayant rien pour élever ses enfants, il n'avait pas eu droit à leurs charges alternées. Et c'est ainsi qu'il était devenu un SDF.

Durant les premiers jours, il avait été totalement abattu, ne sachant quoi faire. Puis, il avait fait des rencontres. D'autres SDF lui avait appris leurs histoires, d'où ils venaient et comment ils survivaient. Oui, Marc avait vite appris que maintenant, il ne fallait plus simplement vivre, mais survivre. Petit à petit, la vision du monde selon les yeux de Marc changea. Il comprit l'entier sens du partage, de l'entraide, de la chance qu'il avait eu d'avoir un toit. Un foyer. Et surtout, la chance d'avoir une assiette pleine trois fois par jours.

Cela faisait maintenant plus de deux ans qu'il ne pouvait plus voir ses enfants. Pourtant, quasiment chaque semaine, Marc se rendait devant un collègue. Leur collège. Caché dans l'embrasure d'une porte de magasin, ou dans l'ombre d'une corniche, il restait là, statique, dans l'attente de les voir. A 17h20, les enfants sortaient. Et c'est là qu'il les voyait. Esteban et Lucia, faux jumeaux, âgés maintenant de 13 ans. Leur père les voyait sortir en parlant, rigolant ou gesticulant, accompagnés de leurs amis respectifs. Marc les voyait sourire. C'était chaque jour un nouveau petit cadeau. Ses enfants étaient heureux. C'était ce qui lui importait le plus. Pour rejoindre leurs parents, les enfants devaient traverser une petite route bétonnée, où un policier stoppait les voitures afin de faire traverser les élèves en toute sécurité. Et c'est généralement de l'autre côté, sur le trottoir, avec les autres parents, qu'il la voyait, elle. Son amour perdu, sa femme qui l'avait quitté. La première fois qu'il les avait revus, il avait voulu se jeter sur eux, les serrer dans leur bras, demander des explications. Mais il s'était abstenu. A quoi cela servirait-il ? Quel mensonge ou vérité leur avait dit leur mère quand ils étaient partis sans lui ? A seulement 13 ans, ses deux enfants ne connaissaient encore rien de la vie ni de leur avenir. Il ne voulait pas gâcher leur joie en s'imposant pour dire que leur père n'avait plus rien, et qu'il vivait à la rue. Pourtant, chaque fois, il avait un pincement au cœur. Et une question en perpétuelle suspens : « Pourquoi l'avait-elle quitté ? » Ils auraient pu s'entraider, comme il le faisait avec ses nouveaux compagnons, et surmonter ensemble ce fossé. Mais non. Elle avait préféré prendre la fuite. Le laisser seul. Et trouver un nouveau compagnon. Ce nouveau « père » venait parfois chercher Esteban et Lucia. Les enfants se jetaient alors dans ses bras, tout sourire. Marc n'avait et ne pouvait toujours pas assister à cela. C'était trop dure. Déjà, de voir ses chairs et son sang si loin de lui, lui était très difficile, mais de les voir avec leur père de substitution, cela lui était insupportable. L'homme savait pertinemment que ce n'était que pure jalousie, mais rien n'y changeait. Rien ne changeait non plus le fait que personne dans sa famille ne l'avait aidé quand il était tombé dans ce gouffre sans fond. Et même presque trois ans plus tard, toujours rien. Il avait pourtant quémandé, même s'il avait horreur de ça, mais aucune réponse il n'avait réussi à avoir. Cela l'avait énormément touché et attristé. Il avait donc dû refaire sa vie, mais d'un autre point de vue. Celui des rues.

- « Marc ! Ohé Marc ! »

L'intéressé releva ses yeux des flammes. Louca, en face de lui, les deux mains près du foyer, le regardait par-dessus ses cheveux blonds en batailles.

- « Toi, t'es parti fichtrement loin. Ça fait bien 5 minutes que l'on t'appelle vieux. Ça ne va pas ? »

- « Excusez-moi, j'étais dans le vague. » Grimaça Marc.

- « Tu pensais encore à eux ? » Questionna soudain Paul, à sa droite.

Un simple hochement de tête lui répondit.

- « Bah, tout le monde ici pensent à leur famille. » Reprit Paul en se frottant ses mains gantées.

- « Sauf ceux qui n'en ont pas. »

- « Désolé Ben. »

- « T''inquiètes pas. C'est ainsi. » Répondit doucement le prénommé Ben, à côté de Paul, penaud.

Le petit groupe changea de sujet, moins douloureux. Pendant ce temps, Marc éleva ses yeux vers la voie lactée, scintillante d'une multitude de lumière. Chaque soir, Marc se demandait si ses enfants avaient eux aussi le regard levé vers la galaxie. La nuit se prolongea en anecdotes et autres histoires, debout autours du foyer, se passant de mains en mains les denrées trouvées dans les poubelles. Cela avait été la seconde chose à laquelle Marc avait eu beaucoup de mal à s'adapter. Manger les quelques restes plus ou moins préservés dans un bac nauséabond, cela avait au début coupé l'appétit de l'homme. Mais cela ne l'avait empêché de manger que durant les premiers jours. Quand la faim vous tenaille le ventre, vous pliant en deux d'une douleur atroce, même la plus petite carcasse restante était un choix de luxe. La nuit, semblable à tant d'autres déjà, passa lentement. Marc ne ferma quasiment pas l'œil, trop frigorifié pour trouver un semblant de sommeil. Avec alternance, le petit groupe rallumait les flammes du foyer, seule chaleur qu'ils pouvaient garder auprès d'eux. La lune se dévoila parmi les nouveaux nuages, éclairant les alentours. Le regard de Marc glissa vers les arbres autour d'eux. Cela faisait déjà deux ans qu'ils avaient pris racine près d'un ponton en pierre, surplombant une petite rivière, et entouré de verdure. La saison avait changé ce paysage verdoyant en vaste terrain enneigé sur deux centimètres. Les arbres étaient décharnés et nus, lugubres. Les ombres projetées par la clarté lunaire intensifiaient la peur de l'homme, de nature déjà pas très vaillant. Marc détourna donc ses yeux, lourd de sommeil vers le petit ruisseau. Son écoulement lent et les lumières scintillantes de la lune qui y été reflétées, tel un miroir, berça le jeune homme qui s'endormit, en remontant sous le menton, une simple couverture vieille et trouée. 

Un Noël particulierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant