o1. LAÏA

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Born to die, Lana Del Rey.

— QU'EST-CE QUE TU COMPTES FAIRE ? interrogea Estia à Phoebe.

— Je m'en fiche pas mal. C'est pas une mauvaise note qui va me tuer.

— Une mauvaise note cumulée avec d'autres notes pourries, si.

— Mes parents n'en ont rien à faire, tu peux me croire. Ils passent leur temps au téléphone, je suis bien le cadet de leurs soucis.

Laïa écoutait d'une oreille distraite les paroles censées inciter la compassion de sa camarade aux yeux bleus. Elle portait plutôt son attention sur la vie à l'extérieur du gratte-ciel ; animée et nettement plus intéressante. Les personnes déambulaient à travers les rues, se croisaient sans même un regard. Ils se rendaient au travail, en revenaient, rejoignaient des amis, ou vagabondaient simplement. L'usage d'un véhicule motorisé n'était plus encré dans le quotidien comme autrefois car il n'était plus aussi indispensable.

Elle essayait de s'imaginer à quoi pouvait ressembler le quotidien avant le Voile. Elle se demandait comment elle réagirait si elle croiserait le chemin d'un étranger qui parlerait anglais ou norvégien, ou même japonais. Laïa aurait voulu interagir avec le monde extérieur, rien qu'avec des habitants extérieurs au Milieu (s'étendant de l'Île-de-France à la Champagne-Ardenne, jusqu'au Limousin et la partie Ouest des Rhône-Alpes), ceux de l'Arcade. En effet, il leur était gentiment imposé de ne quitter leur zone d'habitat que pour des sorties très courtes. Pas de déménagement, de voyage.

Les frontières entre les deux zones étaient surveillées, bien que fussent plus laxistes les contrôleurs pour les individus se rendant dans l'Arcade — ils jugeaient qu'il y avait moins à craindre qu'une personne d'un milieu riche ait à dessein de loger dans cette partie de la France où se concentraient les classes les moins aisées. Cependant, là où il n'y avait aucune exception, aucun manque de rigueur était pour la garde des frontières entre la France et les pays voisins.

Dans ses livres, les autres pays de la planète étaient dévalorisés, pour dissuader qui que ce soit d'aspirer à les visiter. De toute manière, malgré cette propagande et les cours mensongers dont Laïa faisait les frais, elle continuait d'espérer. Le monde, autrefois, était ouvert : les échanges pullulaient sur toute la surface de la planète, qu'ils fussent d'humains, de marchandises ou d'informations.

Puis, alors que les deux premiers siècles du troisième millénaire furent le théâtre de la sixième crise d'extinction de masse, de crises économiques, sanitaires et humanitaires sans précédent, de morts par milliards, de tensions internationales croissantes, la dernière menace flottait au-dessus de leurs têtes à tous et toutes : celle des bombes nucléaires.

Jadis, il existait une organisation à l'échelle mondiale afin de préserver une certaine paix entre les pays — du moins, les plus grandes puissances et leurs économies —, pour éviter de faire face à une nouvelle guerre mondiale : elle se nommait l'Organisation des Nations Unies. Néanmoins, elle fut dissoute après que de nombreux pays commencèrent à la quitter, les uns à la suite des autres. Cela n'avait fait qu'accentuer l'orage qui grondait à l'horizon.

Des pays sous-développés s'étaient effondrés, faute d'aide des puissants qui regardaient ailleurs. Les chefs du monde humain côtoyaient la corruption et la haine de l'autre, l'adversité et la violence. La société était malade, à l'agonie, ballottée par l'avarice, la cruauté et le mensonge. C'était le monde à l'aube du vingt-deuxième siècle. Un véritable chaos, une Terre en cendres, brûlante, inondée, pleine.

Les littoraux avaient été ravagés, des îles disparues sous les eaux, des forêts incendiées, d'innombrables espèces animales et végétales éteintes, des famines et une crise de l'eau avaient émergé, plus seulement dans les pays pauvres.

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