Mathilde a l'air amusée. C'est une vision trompeuse et Prim le sait aussi bien que moi parce qu'il reste soigneusement planquée dans mon dos. Il est plus grand que moi, ce qui doit donner une espèce de vision absurde mais ça marche apparemment très bien parce que Mathilde ne s'adresse qu'à moi.
Elle est très forte Mathilde, parce que plus elle sourit et plus j'ai l'impression qu'elle va me tabasser avec le premier truc qui lui passe sous la main. Je déglutis."Et donc, tu veux pas monter en premier ?" elle me demande, postée à côté de ce que je pensais être une porte de placard, juste en face de nos portes de chambres. Quand j'ai compris que c'était la porte du grenier, j'ai mieux pigé pourquoi Prim a décidé de dormir dans la chambre du bas. Il dit qu'il a pas peur mais je veux bien parier mes deux reins qu'il est terrifié. Ça tombe bien, moi aussi.
"Nope, nope, nope, imagine y a des abeilles ? Tu sais bien que je suis allergique !
- En hiver, Arthur ?
- Elles doivent bien vivre quelque part quand il caille !"Pour ceux qui se demandent, c'est effectivement une conversation qu'on a déjà eu. Plusieurs fois. J'ai presque toujours eu gain de cause. Sauf la fois où Mathilde a dégainé google et qu'on était trop bourrés pour lire les résultats, mais je suis pas certain que ça compte vraiment parce qu'on était vraiment trop torchés pour avoir des souvenirs palpables de ce qu'on a lu.
"Je comprends pas pourquoi tu veux pas y aller, si t'as pas peur, Mathilde." souffle la voix de Prim au-dessus de mon épaule et je me retiens de lancer un aha victorieux de crainte de briser l'effet. Je fais bien parce que Mathilde fait la moue, soupire avant de tourner les talons en agitant un doigt vers nous :
" Je vous préviens, si vous me payez pas un verre après ça, je vous tabasse, compris ?
- Compriiis."Je dois avoir l'air un peu trop heureux parce que Primaël me pince l'avant-bras. Je ne dois pas avoir l'air si heureux que ça, cela dit, parce que Mathilde se contente de rouler les yeux sans rien ajouter et s'engage dans l'escalier qui grince. Cinq secondes plus tard, Primaël s'écarte de moi pour aller chercher une chaise.
"Tu comptes attendre là ?" je lui demande, vaguement outré, parce que pas moyen que je monte sans lui, faut pas déconner. Je dois avoir l'air vaguement trop outré parce qu'il se marre :
"C'est pour bloquer la porte."Ce qui n'est pas spécialement rassurant en soit vu que je ne vois pas bien comment on pourrait se retrouver bloqué mais soit. Dans tous les cas, je n'ai pas le temps de m'attarder là-dessus parce que Mathilde me beugle depuis l'étage que j'ai intérêt à me magner le cul parce que y a zéro abeille et que je suis juste teubé. Je me dis que ça aurait pu être pire : elle aurait pu m'appeler par mon nom complet et là ça aurait été vraiment la merde.
Heureusement, elle me sourit lorsque j'arrive au sommet de l'escalier. Elle me colle quand même un coup de pied dans le mollet en passant pour se venger que j'accepte avec un stoïcisme ébahissant avant d'attraper un carton qui traînait par terre.
"Prim ?" j'appelle et j'entends le bruit de ses pas dans l'escalier suivi d'un juron lorsqu'il se cogne la tête dans une poutre. Je lui laisse une seconde pour se remettre avant d'enchaîner :
"Qu'est-ce que tu veux garder ?
- Tout ce qui est photos, souvenirs... Ce genre de choses. Les draps, c'est poubelle et les livres... Au cas par cas ? Désolé, c'est pas archi utile.
- Au moins, on sait qu'on peut bazarder tous ces trucs-là." répond Mathilde avec un geste de main très vague en direction d'une pile de tissus qui ont du être blancs un jour mais qui sont plutôt franchement jaunes là actuellement.Prim hoche de la tête, occupé à farfouiller dans un carton et je pousse un soupir à fendre l'âme parce que, de fait, il est temps de se mettre au boulot. Non pas que j'ai envie de tirer au flanc mais fourrer mon nez dans des cartons plein de potentiels insectes n'est pas la chose qui me fait le plus envie même dans mes bons jours. Mathilde me file une bourrade dans le dos et me dépasse pour aller balancer d'un geste autoritaire les draps en bas de l'escalier. Ça a le mérite de faire marrer Primaël qui met de la musique ce qui rend, d'un coup, l'ambiance beaucoup moins glauque.
Rien peut être glauque quand les Beatles chantent. Ou Toto, pour ce que ça vaut. C'est difficile de faire moins glauque quand même. Du coup, je me mets à fredonner pendant que Mathilde valse avec un pantin en bois qui aurait pu me faire flipper trente secondes avant mais que je trouve fun là tout de suite. Après avoir balancé le contenu d'un tiroir dans un sac poubelle, je cherche une nouvelle cible.
Dans l'étagère en face de moi, il y a un album photo. Je sais déjà que ça ne part pas à la poubelle - Prim a dit "pas les souvenirs" après tout - mais rien ne m'empêche de jeter un oeil non plus.
Les photos sont en noir et blanc, toutes prises à l'intérieur de la maison. L'endroit a l'air différent mais je sais pas bien pourquoi, c'est peut-être l'absence de couleur qui fait ça ou bien le sourire radieux de la grand-mère de Prim, si jeune et si reconnaissable malgré tout. Elle était jolie, sa mamie, et d'une certaine façon, il a un peu la même tronche même si c'est bizarre de dire ça, je suppose. J'ai failli l'appeler pour lui montrer mais y a une photo qui m'a arrêté.
Enfin arrêté, c'est un grand mot mais j'ai dû faire une tête particulièrement stupide parce que Mathilde a froncé les sourcils, de l'autre côté de la pièce.
"Ça va ?
- Ouais. C'est juste que. Je savais pas que ton père avait un jumeau, Prim."Je devrais prendre un abonnement à la salle de "comment ne pas séduire le type qui me plaît" parce qu'il tire à peu près la même tronche que toutes les autres fois où je lui ai adressé la parole et que j'ai dit un truc de travers ce qui est à la fois rassurant sur le fait que je suis un type constant et absolument dramatique si l'on prend en considération le fait que j'aimerais bien que ce type m'embrasse encore une fois, s'il te plaît, papa Noël et tout le tralala, j'ai été sage cette année je crois.
"Mon père est fils unique." Il finit par me répondre mais il est livide et je suis presque sûr qu'il est en train de virer au gris. "Pourquoi tu demandes ?"
Ah. Je me mords l'intérieur de la joue et Prim se redresse pour s'approcher de moi.
"Ils sont deux sur cette photo." Je lui dis, lorsqu’il est suffisamment près et il attrape le cliché, les yeux écarquillés.
J'aimerais bien lui dire que c'est pas grave mais je suppose que ça l'est un peu quand même, vu l'expression qu'il a.
De toute façon, j'ai pas le temps de parler, la porte du grenier vient de claquer.
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La pluie, l'océan et les crêpes au citron
RomanceLorsque Primaël demande à ses amis un service, Arthur est loin de se douter qu'il va se retrouver embarqué dans le déménagement le plus bizarre qui soit. Coincé dans un patelin paumé de Bretagne avec sa meilleure amie et un ami d'ami d'ami qui est p...