I) Un océan de désespoir

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Une nouvelle lettre, cette fois celle de l'Édition des Ormes qui est spécialisée dans les romans fantasy/fantastiques, c'est encore un refus et le dixième en moins d'un mois. Toutes les maisons d'édition à qui il a envoyé son manuscrit ont, à peu de chose près, répondu le même message : « Votre roman ne correspond pas à notre ligne éditoriale. » . Ce n'est pas avec de tels commentaires que le trentenaire peut espérer une seule chance de voir son livre être publié et son rêve se réaliser.

Thomas Leroy se sent, par conséquent, abandonné de sa bonne étoile et de toutes ses croyances diverses auxquelles il a bien voulu adhérer pour que ses espoirs deviennent réalité. Dorénavant, alors que son unique but était de partager avec l'ensemble des lecteurs ses idées farfelues et son imagination rocambolesque, il fait une croix sur son roman et met au placard son monde remplit de magie, de créatures mystiques et de personnages héroïques. Il se met en tête de faire comme tous ses amis proches et d'oublier ses ambitions d'enfance pour devenir plus réaliste.

C'est le cœur lourd qu'il repose son courrier sur son bureau en soupirant, il repense à toutes ces heures passées à imaginer ses personnages évoluer dans un monde fantastique qu'il avait lui-même créé à travers ses mots. Ce temps incalculable durant lequel il s'est plongé, à l'aide de musique et de son petit ordinateur portable, dans un univers incroyable où tout était possible, où la seule limite de la réalité était sa capacité à inventer. Ces derniers mois agaçants, mais terriblement importants, durant lesquels il a corrigé, relut, modifié, rajouté, enlevé, un nombre impensable de passages qui constituait cette aventure extraordinaire.

Il allume son ordinateur, ouvre le dossier qu'il a enregistré sur le bureau et nommé « Le Chevalier d'Hydgard ». Il voit apparaître les fichiers : premier jet ; second jet ; troisième jet et Manuscrit final. Sa souris vient lentement vers les documents Pdf, il fait clique droit sur chacun d'eux et il les efface, ces heures de travail et de passion. Cependant, il reste figé au dessus de son manuscrit final, sur lequel il avait pris du temps à corriger. Il hésite et sent son cœur s'affoler tant il n'a pas envie de tourner la page.

Il ferme précipitamment l'écran devant lui, s'affale sur le dossier de son fauteuil et pose ses mains sur son visage dans un geste de grand désespoir. Il ne sait plus vraiment à quel point il aime son histoire, il ne peut pas oublier que l'écriture a toujours été un moyen d'évasion pour lui, un moyen de voyager sans réellement bouger. Au fond, entendre le bruit des touches sous ses doigts, voir le clignotement de son curseur texte, ressentir la chaleur de l'ordinateur sur ses cuisses et vivre l'histoire qui se forme à mesure que les lettres apparaissent, tout cela allait énormément lui manquer. Pourtant, il n'est pas prêt à recommencer, sa confiance en lui, en son talent d'écrivain, a disparu avec l'apparition des premiers refus. Thomas Leroy a oublié le plaisir d'écrire, la déception a été tellement intense qu'il a perdu le goût de s'évader.

Il enlève les mains de son visage et tourne lentement son regard vers la fenêtre. Il pleut. Il aime la pluie, se balader à travers les petites rues trempées, sentir l'odeur de l'eau sur le sol goudronné et entendre les fines gouttes sur le tissu imperméable de son parapluie transparent. Observer la longue traînée de l'eau sur la vitre de son modeste appartement est également un moyen agréable pour lui de s'apaiser.

Il se lève d'un bond, prenant conscience d'une chose indéniable, il a grandement besoin de se ressourcer. Il enfile son manteau, saute dans ses baskets et attrape son parapluie pour aller marcher dans les environs de sa petite ville natale. En sortant, il prend une grande inspiration, appréciant les odeurs de pains chauds qui s'échappent de la boulangerie la plus proche. Il se met à marcher, ses écouteurs dans les oreilles et une musique calme commence lentement à le plonger dans ses pensées. Il ne peut pas s'en empêcher, il se remémore à quel point ses personnages vont lui manquer, à quel point Hydgard (le monde qu'il a mis du temps à créer) va devenir vide sans ses idées continuelles. Il pleure déjà la perte de ses amis fictifs et de l'amour qu'il porte à ce récit qui l'a aidé à ne pas se laisser emporter par le torrent mélancolique de sa vie.

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