Un soir d'été.
La pleine lune éclaire discrètement la route qui se dessine devant vous, une rue toute simple bien droite et sans recoin qui vous mènera à la maison sans avoir besoin de regarder sans cesse derrière votre épaule. Et pourtant, un frisson irrépressible vous fait remuer les épaules : il y a dans l'air ce soir un petit quelque chose de différent.
Pas le temps de s'y attarder néanmoins, il se fait tard et il vous faut vous hâter, on presse le pas pour parcourir la centaine de mètres restantes. Au bord de la route, les luminaires se suivent et se ressemblent. Les murets séparant les maisons et les jardins sont d'un fade encourant mais la musique dans vos oreilles vous distrait assez pour que vous n'y prêtiez pas vraiment attention.
Le pas guilleret, vous suivez le tempo tout en avançant, mais la sensation qui vous a pris au cœur plus tôt ne vous laisse pas. Au contraire plus vous avancez, dans cette rue qui vous paraît de plus en plus sombre, plus elle vous envahit prenant le pas sur la musique dans vos oreilles.
Une forme sombre derrière un des poteaux vous arrache un sursaut et vous arrête en plein élan. Ce n'est qu'une femme, qui se tient un peu dans l'ombre, mais vous ne l'aviez pas remarqué jusqu'ici. Grand imper beige et foulard recouvrant le bas du visage, elle a dans sa façon de se tenir un petit quelque chose qui vous rappelle cette étrange sensation qui vous étreignait déjà. Raison de plus pour ne pas traîner : un rapide coup de tête pour la saluer puisqu'elle semble vous fixer sans ciller derrière son étole et vous voilà reparti en avant toute.
Mais voilà, elle vous suit du regard.
Elle se tourne pour mieux vous suivre à chaque pas, ne lâchant pas de ses yeux écarquillés votre silhouette mouvante. Intrigué, interpellé, vous vous arrêtez pour lui demander si vous pouvez l'aider : une femme seule, les mains ballantes, postée ainsi derrière un poteau a peut-être besoin de quelqu'un finalement : est-elle perdue ? Sans moyen de communiquer ?
Vous demandez mais elle ne vous donne pas de réponse. Elle reste silencieuse et vous voyez que derrière ses longs cheveux noirs tombant mollement sur ses épaules, il n'y a qu'un visage blanchâtre sans aucune expression. Enfin, une moitié puisque vous ne pouvez rien voir en dessus de son nez.
Vous avez retiré vos écouteurs, par politesse, et vous l'entendez murmurer derrière son foulard sans toutefois parvenir à comprendre ce qu'elle vous dit. Un pas en avant pour mieux l'entendre :
« Est-ce que je suis belle ? » demande-t-elle d'une voix implorante.
Interloqué, vos sourcils se soulèvent. Quel genre de question pour une sortie nocturne avec un inconnu ?
Le frisson ne vous quitte désormais plus, et vous n'aspirez plus qu'à rentrer chez vous. L'absurdité de la situation vous assomme et vous commencez à vous demander si vous n'êtes pas fous. Vous bafouillez un « oui » tout en remettant un écouteur dans votre oreille dans l'espoir de faire comprendre poliment à votre interlocutrice qu'il est temps pour vous d'y aller.
Mais elle se met à rire, une main suspendue au niveau de sa bouche. Un rire froid, un rire presque mesquin qui vous cloue au sol.
Un long silence.
Elle tient toujours sa main devant sa bouche et attrape le bout de tissu qui la recouvre, un geste d'une lenteur oppressante découvre alors le bas de son visage, découvre une bouche, une gueule, une ouverture béante partant d'une oreille à l'autre dégoulinante de bave et de sang dévoilant dents et gencives sans ambages.
Elle rit au travers de cette ouverture béante, elle rit de nouveau et dans un bond, tout bras en avant, elle hurle dans la nuit :
« Et maintenant ? »
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La Librairie Yōkai
HorrorRetrouvez les nouvelles de la Librairie Yōkai présentant chacune un nouveau monstre ou fantôme japonais ici ! --- La Librairie Yōkai, c'est un lieu où l'imaginaire japonais vient à votre rencontre, où les légendes urbaines prennent forme dans...