Le ventre désormais plein, je commence à être rattrapée par mon besoin de sommeil. Joséphine conduit à travers la ville pour rejoindre son domicile en pointant du doigt toutes les bonnes adresses devant lesquelles nous passons. Ses longs cheveux blonds volent autour de son visage en raison des fenêtres ouvertes tandis qu'elle me montre un parc immense, un bar branché, une salle de sport et plein d'autres endroits qu'elle a pour habitude de fréquenter en dehors de ses horaires de travail. Mes paupières deviennent lourdes et je ne l'écoute plus qu'à moitié quand elle se lance d'un ton pourtant enthousiaste dans la promotion de sa librairie favorite.
Joséphine est une femme remarquable de par son intelligence ainsi que sa générosité, voilà le constat que j'ai été enchantée de faire à la sortie du restaurant. À ma grande surprise, il n'y a pas eu un seul blanc au cours du repas et je n'ai pas ressenti la moindre gêne à passer deux heures assise en face d'une parfaite inconnue. Je ne sais pas si c'est dû au fait que je me sentais particulièrement à l'aise en sa compagnie ou plutôt à mon récent jeûne rompu par des sandwichs au goût douteux mais je me suis goinfrée de spaghettis à la bolognaise sans prendre la peine d'essuyer la sauce qui dégoulinait sur mon menton après chaque bouchée.
Amusée, elle a rit devant la tâche qui entourait ma bouche et a profité du caractère léger de notre échange pour commencer à me poser des questions, dans un premier temps anodines. De « Tu es passionnée par quelque chose ? » à « Tu as déjà eu un petit boulot ? » en passant par « Tu es allergique à certains aliments ? » et « Tu as une phobie en particulier ? ». Je lui ai répondu par un non général dont la brutalité lui a fait plisser le front mais, des interrogatoires, j'en avais subi des tas, et j'étais certaine que Joséphine allait au fur et à mesure s'aventurer sur un terrain glissant. Mon instinct ne me trompe jamais et j'en ai eu la preuve une énième fois.
Malgré mon changement de ton, elle a pris le risque de s'intéresser à un aspect plus personnel de ma vie, à savoir les relations que j'entretiens avec les gens de mon âge. Courageuse, elle m'a demandé si mon groupe d'amis ne me manquait pas déjà et si j'avais laissé derrière moi un petit copain. J'ai alors resserré mes doigts autour de ma fourchette pour lui avouer cash que je passais l'intégralité de mon temps libre à bosser mes cours, qui ont toujours représenté ma seule échappatoire dans tous les sens du terme. En fait, ma vie sociale était inexistante parce que j'ai déménagé tant de fois que créer des liens avec qui que ce soit aurait été un comportement à la fois masochiste et sadique de ma part.
Je lui ai ensuite parlé du dilemme auquel sont soumis les enfants qui grandissent dans un cadre familial aussi pourri que le mien. Soit ils se replient sur eux-mêmes et se donnent les moyens d'en sortir, soit ils perdent tout espoir d'une vie meilleure et se font pousser vers le bas par de mauvaises fréquentations. J'ai fini par regarder Joséphine droit dans les yeux pour lui faire ravaler sa pitié en déclarant que je n'avais pas honte d'avoir choisi la première option et, devant mon attitude défensive, elle a enfin compris que ma vie au Texas n'était pas un sujet agréable à aborder pour moi. Hallelujah.
Le reste de notre déjeuner tardif s'est déroulé sans la moindre anicroche supplémentaire. Elle m'a principalement décrit son quotidien, celui d'une belle trentenaire qui n'a pourtant ni mari ni enfant. En tant que professeure de littérature dans l'une des plus célèbres universités des États-Unis, un travail qu'elle a par chance décroché il y a trois ans, elle ne rencontre que des collègues aigris et des parents d'élèves blindés. Elle aime son métier plus que tout, il lui suffit pour être heureuse, donc elle se fiche de ne pas avoir construit sa propre famille pour le moment, mais Joséphine est tout de même excitée par mon arrivée dans sa vie car je vais bouleverser sa routine.
— Bienvenue chez toi.
Mon esprit se reconnecte avec le moment présent grâce aux paroles accueillantes de Joséphine, qui se gare dans une rue du centre-ville bordée par des maisons mitoyennes à plusieurs étages. Je sors de la voiture, mon sac à dos sur une épaule, et je regarde avec incrédulité la façade grise de mon nouveau domicile. D'une part car le salaire des profs est vraiment conséquent dans le privé et de l'autre parce que j'ai du mal à croire que j'emménage ici.
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The Bayford Students
RomanceSaison 1 : Inside Brillante élève issue d'une province modeste, Hailey Clark est encouragée par l'un de ses professeurs à faire une demande de bourse pour la prestigieuse université privée de Bayford, dans le Rhode Island. Quand arrive dans sa boîte...