👑 Les Trois Reines

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Doudou, Roudoudou et Maigrichon, adaptation française par Maïca Sanconie dans La Cabane des Sept Nains, aux éditions du Korrigan, 2000.

Il était une fois, dans le petit royaume Chandépi, dans un village semblable à tous les autres villages qui s'appelait Aestivum, un laboureur et sa femme qui n'avaient pour tout enfant qu'une fille qu'ils chérissaient de tout leur cœur. Si elle n'avait ni frère ni sœur, Elisheva avait grandi avec les autres enfants de son âge au village et elle aimait ses amis comme sa propre famille.

Mais hélas, avec les années qui passaient, toute la petite bande fut bientôt en âge de chercher un apprentissage ou de songer à se marier. Ce furent d'abord les apprentis du forgeron qui annoncèrent leurs fiançailles, puis Cyran partit apprendre un métier, Encelin et Armand partirent pour la capitale... et Elisheva décida d'aller chercher un emploi dans une plus grande ferme, pour y faire son apprentissage. Elle embrassa donc ses amis qui restaient encore à Aestivum, promit à ses parents de revenir au bout d'une année, puis elle partit avec son baluchon sur l'épaule.

Après trois jours de voyage, elle trouva à s'engager dans une ferme importante aux vastes champs, en compagnie de trois autres apprentis qui venaient de différents villages. Ils étaient tous les quatre dans la vingtaine, solidement bâtis par les travaux agricoles qu'ils avaient accomplis durant leur enfance, mais Elisheva était de loin la plus maligne du lot. Là où les trois autres utilisaient plutôt leur force, elle avait appris à réfléchir et la fermière entreprit de lui enseigner comment tenir un livre de compte, estimer la surface d'un champ, et tout ce qu'il fallait savoir sur la gestion d'une grande exploitation comme la leur.

Les premiers mois s'écoulèrent paisiblement, dans la bonne entente générale. Les fermiers étaient très fiers de leurs quatre apprentis, et les récoltes promettaient d'être excellentes. Du moins, jusqu'à ce qu'un matin l'on découvre que toute une partie du champ ouest avait été saccagée. Les épis presque mûrs étaient piétinés, écrasés et tout à fait perdus, et au milieu du carnage l'on pouvait parfaitement voir une empreinte de patte griffue d'une largeur et d'une profondeur effrayantes.

- Sapristi ! s'exclama Rendell avec colère. Ce doit être une sacrée bestiole pour avoir des pattes pareilles ! Mais monstre ou pas, je me fais fort de lui faire passer le goût d'abîmer nos champs ! Je vais passer la nuit dehors pour monter la garde, nous verrons bien qui rira le dernier.

Par prudence, il fut tout de même décidé que l'on avancerait la moisson afin d'éviter de tout perdre, et la journée fut bien occupée jusqu'à ce qu'il soit l'heure pour Rendell d'aller monter la garde dans le champ ouest. Il partit au coucher du soleil et revint à l'aube, la tête basse et ensanglantée, expliquant qu'on l'avait assommé et qu'il n'avait rien pu voir.

La récolte était un peu plus abîmée que la veille, alors Maius résolut d'aller monter la garde à son tour. Et il revint le lendemain dans un état pire encore, incapable de décrire autrement son assaillant que par sa grande taille. Alors ce fut au tour de Doyle de tenter sa chance, sans plus de succès. Après trois jours de ce manège, il ne restait plus grand chose du champ ouest et les trois apprentis étaient trop amochés pour travailler correctement. Pourtant, Elisheva prit son tour de garde comme eux, bien décidée à comprendre de quoi il retournait et mettre un terme à cette histoire.

Sur la promesse de se montrer plus prudente que ses camarades, elle quitta la ferme à la nuit tombée pour aller se glisser dans le champ. Tout était calme, le silence rempli du chant des grillons et de l'occasionnel cri d'une chouette, tandis qu'elle avançait prudemment parmi les épis broyés et les grains éparpillés. Elle repéra plusieurs fois les empreintes de pas gigantesques, et tâcha d'estimer la taille du monstre qui était à l'origine de tout ce carnage. En comparant l'une de ses pattes à l'empreinte de son pied, elle grimaça et redoubla de prudence, parce que cette créature était probablement quatre à cinq fois plus grande qu'elle.

Contes des Deux Belles [en correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant