2. Aurea écoute

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Je... ne peux pas le regarder. Le simple fait de le savoir assis à l'autre bout de la table me donne des frissons. Mon esprit lutte pour refouler les images qui remontent à la vitesse de la lumière. J'ai l'impression de sentir à nouveau ses mains glisser sur mon corps. La fourchette au bout de ma main tremble, ou bien est-ce moi ? Mon ventre n'est plus qu'un sac de nœuds, la vue de mon assiette déclenche une nausée. Du coin de l'œil je vois Publius remplir mon verre d'eau, mon trouble, ma panique plutôt, doit être visible. Je saisis d'un geste maladroit mon verre et bois rapidement le liquide frais qui glisse sans mal dans mon œsophage et envoie au loin mes souvenirs en me ramenant à la réalité.

Crassus discute avec le grand-père de Publius. Leur ton est bas, ferme, ils parlent politique. Je ne dis rien, j'en serais bien incapable, et Publius fait de même. Je ne saisis pas la moitié de la conversation et à vrai dire, je m'en moque. Je n'ai qu'une envie disparaître, ou lui planter ma fourchette dans la gorge. Chacune de ses paroles me ramène dans son bureau, lorsqu'il me... lorsqu'il m'a... Pitié que quelqu'un m'aide. Je veux fuir.

— Un vent de révolte souffle sur tout l'empire, grogne un peu violemment le grand-père de Publius. Les esclaves dissidents sont partout sur les réseaux sociaux. On murmure que Mithridate chercherait à les armer.

— La peste soit sur Mithridate ! Que Lucullus le tienne donc occupé, s'exclame Crassus. Ce conflit n'a que trop durer.

Les deux hommes continuent leur ainsi leur discussion sans plus d'intérêt pour nous. Publius saisit la première occasion pour quitter la table, alors que deux hommes nous apportent le dessert. Je m'empresse de le suivre et, pour mon plus grand soulagement, nul ne nous retient.

Je retrouve mon fils de patricien préféré dans le couloir, un grand sourire aux lèvres.

— C'est la première et dernière fois que tu vas m'entendre dire cela Aurea, me souffle-t-il avant de m'entraîner vers ses appartements, mais j'adore la politique. Je me rappellerai de lancer le sujet à table si je dois dévier la conversation. J'ai eu grand tort d'imaginer que seul l'argent pouvait intéresser le pater.

Nous sommes de retour dans cette grande pièce que j'apprécie tant. Les appartements de Publius offrent une vue magnifique à qui a le privilège de pouvoir se tenir ici. Les reflets d'or du soleil dansent sur la mer turquoise. Ils sont une invitation à la baignade. Je pourrais passer ma vie à observer ce spectacle.

— On retourne sur la plage ? me propose Publius alors qu'il réassemble son smartphone. J'envoie un texto à Rufus et je me change.

— Il faudrait que je repasse dans ma chambre d'abord pour me changer, et je...

Les mots se bloquent si facilement. La phrase est pourtant simple mais j'ai tant de mal à la prononcer, même devant Publius. Ma pièce est à l'autre bout de la demeure, et je crains de recroiser dominus. Il m'a peut-être oubliée pendant le repas mais je n'ai guère envie de retenter le destin. Heureusement, le jeune maître a l'habitude de mes difficultés. Il hausse les épaules et balaye ce problème inexistant à ses yeux.

— Envoie un esclave chercher tes affaires, me dit-il avec l'air de celui qui énonce une évidence. Eh toi-là ! Devant la porte ! crie-t-il. Viens-là !

Une jeune femme vêtue d'une robe droite bleue, version féminine de l'uniforme de cette maisonnée, entre à la suite de l'interpellation de Publius et s'incline devant lui.

— Il te faut quoi ? me demande le patricien alors qu'il tourne la tête vers moi.

— Je souhaiterais l'un des maillots de bain, dans le premier tiroir de la grande commode, dis-je à l'attention de Danaé, car contrairement à Publius je connais le nom de presque tout le monde. S'il te plaît.

J'insiste bien sur ce mot, car j'en connais l'importance. Et, moi, je sais que nous sommes tous humains.

Danaé s'en va et Publius se tourne vers moi en secouant la tête de façon négative. Je n'aime pas le regard qu'il me jette, il ressemble bien trop à son père de la sorte. Le poids de son éducation ressort. Je sais déjà ce qu'il va dire.

— Je sais ce que tu penses.

— Ce n'est pas en essayant de m'humilier devant une esclave que tu me feras changer.

— Je n'ai jamais voulu t'humilier Publius. Tu le sais n'est-ce pas ? Jamais je ne ferai une chose pareille.

La fierté patricienne est nichée dans la moindre parcelle de ses gènes. Publius se sent au-dessus de tout le monde par son ascendance et déteste la moindre remarque à ce sujet. Il a beau faire preuve de clémence à mon égard, de déférence même, je reste une esclave, un jouet.

Il se radoucit à mes mots, et l'ombre de son père s'éloigne.

— Je le sais, dit-il en me prenant dans ses bras. Tu me rappelles à ta manière que tu es comme eux, toujours esclave.

Son torse est chaud, rassurant, Publius est un phare dans la nuit.

— Si c'était en mon pouvoir, murmure-t-il, tu serais déjà affranchie. Mais, dit-il sur un ton plus fort, joyeux, et en se détachant de moi avec un sourire. Je n'ai pas envie de mourir. Tu appartiens au pater, et je n'ai jamais essayé d'affranchir l'un des esclaves du pater. Un jour j'ai bien voulu en revendre un, j'avais une dette dans un bar tu comprends, et... mieux vaut que je ne te raconte pas la suite. Tes oreilles pourraient ne jamais sans remettre, ma dignité non plus.

Il me fait rire. Publius a le don de tout théâtraliser.

— Peut-être qu'un jour tu seras à moi, et à ce moment-là j'aurais le grand plaisir de me libérer de ma dette envers toi en t'affranchissant. Et p'têt bien qu'on se mettra en concubinage, ma femme, choisie par le pater bien évidemment, vertueuse, moche et ennuyeuse de préférence, ne verra certainement pas de mal à ce que l'on passe du bon temps ensemble. De toute manière je serai le pater, elle m'obéira comme tout le monde et.

Il s'interrompt brusquement et blêmit.

— J'ai dit ce que je pense que j'ai dit ? me demande-t-il avec effroi. Ai-je déclaré avec joie que la perspective de devenir le pater était un objectif dans ma vie ?

Il semble tellement attristé et désemparé que c'en est drôle, je ne peux m'empêcher d'en rire, bientôt rejointe par lui.

— Je serai beaucoup plus sexy que lui en tout cas.

J'acquiesce et nous rions ensemble jusqu'à l'arrivée de Danaé qui apporte mes vêtements. Quelques instants me sont nécessaires pour la remercier, gagner la salle de bain attenante et me changer. Lorsque je reviens dans la pièce principale, Publius est également prêt, une serviette sur l'épaule, une autre qu'il me tend, à la main.

— En route pour le soleil, le sable fin et les cocktails !


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Merci d'avoir lu ce chapitre ! 

Axel.  

Marcus Reloaded 2. Fils de p********Where stories live. Discover now