J'ai des volutes opalines en poussières dans ma tête
Des brumes et des chimères et des océans
Des vagues d'illusions et des pensées en tempête
Écumes de lumière au fil d'un profond néant
Éclairs d'albâtre dans la fauve nuit de mon esprit
Et mes fabulations poudroient la rocaille assoupie
Flocons de pensées sur les alpages épris
Cabans de rêves blancs sur la pelouse croupie
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Et le mantel ivoirin se densifie sous ses prunelles emplies de nuages. L'aquilon de février, les virulentes bourrasques de ses fulminations frigides entaillent l'éther hiémal. Ses doucereuses divagations la compressent, l'oppressent, la serrent autant qu'elles lacèrent. Sa mer onirique l'enceint irrémédiablement, ce sont des flots de mirages à contre-courant de sa poitrine meurtrie. Ce sont des bras tranchants, des dagues et des vagues aux caresses épineuses. Et voilà que son esprit se met à neiger, que la galerne en elle déchire l'empyrée puis l'émiette en lambeaux. Le sol est couvert de songeries, les champs virides se nacrent à l'argent de son calvaire.
Elle, aux yeux larmoyants, se voûte au-dessus de la sarabande blanchâtre, des farandoles éburnées de la morne saison. Sélène se laisse tomber dans la poudre alpine, elle s'allonge sur son lin de souvenirs. Ses paupières perlent de cristaux blancs, les congères luisent de ses larmes. Déluges et torrents nivéaux dévalent ses joues incarnadines et se marient à la calanque albuginée de ce soir d'hiver. Tout n'est plus qu'avalanche, gave algide éprise de mélancolie, de l'abîme de son âme à la surface de ses chagrins de céruse. La végétation prasine, l'encoignure immaculée de ses pupilles, son esprit fantasque, le monde entier s'écoule dans les frimas satinés, s'écroule dans les bras de pluviôse.
La jeune femme s'évertue à lutter, se démener pour ne pas s'évanouir à l'hiver de ses pensées. Comme un écueil au sein du grand bleu, Sélène est une ondine égarée dans l'immensité de ses émotions. Des sentiments diluviens la submergent de toute part, et les rouleaux platinés de son éther l'emportent loin de tout rivage. Et les réminiscences déferlent, s'abattent au rythme effréné de ses pulsations. La houle déchaînée se brise et fend brusquement son buste essoufflé. Le ressac orageux de ses passions retentit comme une symphonie sur les parois ébréchées de son crâne indolent. Une lame, plus intense encore de songes, écume les derniers lambris de son néant puis vient combler son être. Sélène s'abandonne, et commence alors un long déclin vers le tréfonds de son cœur. Son corps enivré se noie, se donne à l'émoi puis sombre au fond des chimères impétueuses. Elle est l'Atlantide, l'aigue perdue, la perle éperdue dans l'océan de ses rêves.
La douce naïade s'éternise là, languide abysse empli d'émotions dans les nappes opalines de l'hiver. La silhouette naufragée s'abîme au sein du manteau neigeux, les formes galbées de ses hanches épousent les ondulations de la mer d'ivoire. Sélène brille telle une étoile enneigée parmi les constellations de congères tout autour d'elle. Elle éprouve les coteaux de son échine fondre aux vallons de la poudreuse. Elle sent son cœur et l'univers s'effondrer, vaciller encore à l'horizon, sancir et couler au lointain, de son monde et d'elle, la nautonière aux flocons. Les sillons disparaissent, seules deux prunelles améthyste émaillent les flots sibyllins comme des radeaux éperdus. Sélène perd la barre et son regard prend le large, ce sont dorénavant les caravelles de neige qui voguent et chamarrent ses yeux détrempés. Comme l'aniline encre l'éden, l'hiver ancre avidement ses pupilles aux lueurs de mauvéine, et les batelets brumaux louvoient contre les vents et les marées de son âme.
La belle nymphe éperd son cœur à l'anse ivoirine et lumineuse du manteau neigeux, dans les courants tumultueux des flocons et des pensées. Sa poitrine engloutie émane encore d'effluves et d'harmonies, les mélodies langoureuses de ses vibrations parfument l'étoffe nacrée d'essence de roses. Mais autant que le nizeré de son buste embaume l'autan vespéral, son pouls s'emballe et s'affole, son encolure empourprée souffle en rafales. Le flot de ses mirages en lambeaux l'englaçait, mais à présent ce gave est ardent, cette avalaison la consume. Sa peau carmin la brûle, les embruns et les bourrasques de la bise ne sont plus que tempêtes éventées de flammes. Et Sélène s'embrase à l'étincelle de son cœur englacé, de ses berlingots de rêves sous la neige. En chœur avec la poudreuse, elle écoute ses flocons bruire à l'agueil assoupi. Elle entend les battements s'ébattre, sa poitrine alanguie se débattre à l'ombrée de la nuit. Et le temps d'un silence, l'ivraie chante à la coupole embrumée les pétales opalins d'une églantine fanée de rêves et de songes.
L'aquilon crépite et s'abreuve des flammes hiémales de sa poitrine. Sélène insuffle ouragans et brasiers au creux de l'hiver. Ses chimères tels des bourgeons d'alizarine, ses lèvres capucines sont les fleurs des étendues chapeautées d'opale. Et ses roseraies bigarrent la neige.