J'ouvre les yeux et distingue un tableau idyllique. Ce qui s'offre à moi est digne des œuvres réputées de Monet. De splendides nymphéas dérivent au gré de la douce brise d'automne. Quelques feuilles de chêne se prélassent sur les berges de l'étang qui me fait face. Au centre de ce point d'eau se dresse, majestueux, une pièce de marbre sculptée à la manière des plus grands. La matière semble lisse, dénuée de toute imperfection. Cette œuvre d'art attire ma main comme une fleur vers l'astre solaire. Je tente d'avancer mais en vain. Des chaînes dorées solidement fixées à mes poignets me maintiennent sur le cresson humide de la rosée matinale. L'objet de mes désirs tourne sa tête angélique vers moi. Ses membres se meuvent dans une démarche morose. Au fond de mon âme quelque chose se brise. Je lance un hurlement sourd en sa direction. Mais la silhouette élancée s'enfuit tout de même, un beau sourire dessiné sur son visage.
Ce sourire... Il me fait tant penser à celui qu'arbore le trésor de ma vie. Je relève brutalement la tête. Des perles mouillées glissent sur mes joues rougies. Si bien que mes yeux eux-mêmes ne supportent plus la lueur de l'aurore et se ferment. La bride de bonheur qui avait naquis en moi s'évanouit. Je ne tarde pas à la rejoindre.《 Elérina... Eh Elérina... Je suis désolé de te réveiller mais là deuxième heure de français va commencer. Si tu ne te sens bien, dis-le moi, n'hésite surtout pas. 》
Je lève doucement la tête. Mon regard se plonge dans celui de l'Apollon se trouvant devant moi. Il n'y a pas grand monde dans la salle, d'après le faible débit sonore. Soudain, à ma plus grande surprise, il pose sa main sur ma joue. J'arrête un moment de respirer. Il bouge sa main calmement, comme on caresse un animal docile. Son regard s'intensifie. Ses yeux restent bloqués sur mes lèvres entrouvertes. Il a l'air frustré quand la cloche lui hurle de s'arrêter. Il se relève, me sourit légèrement puis retourne à son bureau. J'entends des vagues murmures flotter dans la salle. Je ne comprends pas ce qu'il vient de se passer. C'était comme une délicate offense, une adorable brûlure, une horrible évidence.
《 Bien, reprenons. Voyez, au vers 20, l'auteur montre, à travers une accumulation de sons comme -a, -oi ou -o, la fatigue et la lenteur. Quand vous dites -a, votre bouche s'ouvre le plus grand possible et votre langue reste au repos. Si tu as un doute Elérina, tu pourras essayer à la maison. 》
Mon sourcil s'était arqué quand il avait prononcé les mots "langue" et "bouche" de façon presque suave. Et sa dernière phrase, serait-ce une invitation ? Je souris pour lui répondre, les murmures augmentent. Le cours continue, les allusions également.
《 Pour faire un lien avec Parfum exotique, si l'extase est rendue possible par le corps c'est dans l'esprit qu'il prend forme. 》
Je le regarde et lui aussi. Le temps semble s'arrêter et, entre deux étincelles explosives, il aggrippe le bord du bureau avec force. Les muscles de son cou se tendent et ses épaules se contractent intensément. Cet instant est révélateur, comme magique. Je sens, en plus de mes joues qui rougissent, une sensation d'oppression s'emparer de moi. Mes camarades tels des serpents sifflaient à mes oreilles le son strident de l'interdit. L'heure se termine dans un fond sonore rempli du sel des murmures amers sur le fond d'une mer agitée. Je range mes affaires avec lenteur. Tous les élèves sont sortis de la salle. L'astre de mes cieux ferment la porte sur notre destin scellé.
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0H YE5 !
RomanceUne salle de classe, Un regard appuyé, Une remarque en face, "Monsieur" pour qui je suis tombée.