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L'amphi est quasiment vide. Certains étudiants sont partis au ski. D'autres ont sûrement eu la flemme de braver les températures négatives pour un cours optionnel. Après tout, c'est les vacances dans une semaine et les partiels ne sont qu'en janvier. Il n'y a que quelques tocards assis sur les bancs, et moi. Je pourrais dire « dont moi » mais j'ai une estime plutôt correcte de ma personne. Excessive quand je suis bourré, je le concède. Heureusement pour tout le monde, je suis un mec plutôt raisonnable.

J'allume l'écran de mon portable et une notification s'affiche. « Rappel : 1er jour de stage, dans 1h. ».

Comment pourrais-je ne pas y penser ? Les premières fois sont des choses qu'on oublie rarement et mon premier stage de droit commençait cet après-midi. Je pourrais être impatient. Au lieu de ça, je me maudissais d'avoir écouté ma mère et accepté de postuler à cette offre qu'elle m'avait envoyée. Je pourrais rentrer tranquillement, commander un burger et regarder une série jusqu'au bout de la nuit. Ouais, je pourrais faire ça.

En fait, c'est plutôt une bonne chose, ce stage. J'ai dû m'approcher un peu trop près des tocards pour envisager ce plan comme LA soirée idéale.

Je m'aperçois que le cours est terminé lorsque tout le monde se lève et s'empresse de quitter la salle. Deux filles soupirent bruyamment, attendant que je me lève pour rejoindre les escaliers. Je jette négligemment mes affaires dans mon sac et lâche un « je vous en prie mesdemoiselles, allez-y» parfaitement ironique avant de les suivre à mon tour. Le professeur efface le tableau en nous souhaitant une bonne journée sans se retourner. J'enfile mes écouteurs et quitte le campus. Je m'engouffre dans la bouche de métro la plus proche et oscille doucement la tête sur le quai, puis dans la rame, tentant d'évacuer la pointe de stress qui acidifie mon estomac. Putain, je déteste cette sensation. Plus qu'une station et j'y suis. Je vérifie l'adresse sur mon portable, mais le GPS ne marche pas. Aucun service, affiche mon écran. Ça aussi, je déteste. Après une durée qui me semble interminable, je retrouve la surface et prend quelques minutes pour relancer l'application. Deux cents mètres plus tard, j'aperçois le numéro de l'immeuble. Une plaque est encastrée dans le mur à côté de la porte. Une fille accompagnée de son père entre et l'homme retient la porte pour moi. Je le remercie dans un souffle et pénètre dans la cour. La jeune fille se tient à une distance respectable de son père, le visage plongé vers les pavés. Elle porte un pull ample, une grande veste imperméable, un jean et une paire de converses abîmées. Pour être honnête, elle fait peine à voir. 

Soudain, elle tourne la tête vers moi et je croise ses yeux brûlants. Elle me dévisage, de la rage au fond de ses pupilles. Ses mains se serrent et elle détache finalement son regard de moi. Mais je peux voir ses épaules se soulever rapidement, trahissant la vague violente qui ravage son esprit. Pétrifié, je suis trop loin pour attraper la porte que son père retenait à nouveau pour moi. Dans un grincement, elle se referme, puis claque. Je reste planté au milieu de la cour, mon manteau ouvert et le nez glacé. Pourtant, j'ai chaud, terriblement chaud. 

RésilienceWhere stories live. Discover now