Journal intime de Marion Evans daté du 03/11
Je n'ai pas dormi de la nuit. Et je n'exagère presque pas. J'ai encore fait ce cauchemar dont j'ai parlé au Dr. Roberts hier. À nouveau, je jouais avec Mélissa dans le salon. Elle riait aux larmes, allongée sur le parquet en acajou. Son rire résonnait dans la pièce comme une clochette et les rayons du soleil, filtrés par les longs rideaux blancs du salon, jouaient avec ses cheveux et venaient habiller sa chevelure de reflets dorés. Soudain, tout a basculé. L'atmosphère douce et chaleureuse quelques secondes plus tôt à laissé place à une obscurité glaçante. Mélissa gisait là, inerte, au milieu de la pièce. Quelque chose nous observait mais je ne parvenais à distinguer qu'une ombre de l'autre côté de la pièce. Chaque seconde dans cette pièce était un supplice, un sentiment de malaise m'envahissait, j'étais engourdie et quelque chose m'oprimait si bien qu'il me semblait impossible de respirer. Je suffoquais, paralysée, tandis que je voyais l'ombre de l'autre côté s'allonger et s'approcher lentement de moi. Elle m'avait presque atteinte quand je me suis réveillée, le souffle haletant, comme si j'avais gardé la tête sous l'eau trop longtemps. Impossible de trouver le sommeil après ça. Tout ça tombe merveilleusement bien pour le devoir de français de tout à l'heure...
Puisque je suis levée tôt j'en profite pour prendre mon temps sous la douche. Debout, immobile, je laisse l'eau bouillante ruisseler sur mon corps pendant de longues minutes. Des nuées de vapeur s'échappent de la douche et emplissent la salle de bain. L'air devient irrespirable, mais cette chaleur, qui m'enveloppe et m'étreint, m'apaise.
Depuis la salle de bain, j'entends les cliquetis des couverts et le tintement de la vaisselle. Maman est levée et prépare le petit déjeuner. Je me prépare rapidement et descends à la cuisine. Elle est debout devant la cuisinière, maniant d'une main de maître les poêles fumantes. Une odeur de crêpes flotte dans la pièce, légère et sucrée, mais je suis incapable d'avaler quoi que ce soit ce matin. J'ai l'estomac noué et la gorge serrée, encore troublée de mes errances nocturnes.
《Bonjour chérie, je te prépare une crêpe ?》
J'acquiesce, quand bien même la simple idée de manger me rebute au plus haut point. Maman s'est donné du mal et je ne veux pas la décevoir. Et puis, elle s'inquièterait. Ces derniers mois n'ont pas été faciles pour elle et c'est en grande partie ma faute. Me voir perdre toute joie de vivre jour après jour et sombrer peu à peu dans ces ténèbres de désespoir l'a beaucoup affectée. Elle est une mère aimante et protectrice, et voir ses enfants souffrir doit être l'une des pires tortures pour elle. Elle ne l'a pas montré, pour m'épargner sans doute. Mais je le sais. Elle a beaucoup maigri.