Préface

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Il faut informer le lecteur que je n'ai aucune légitimité sur les mots qui vont suivre. Considérez-moi comme un copiste, ou un éditeur, plutôt que comme un auteur. Je me contente seulement de rapporter ici ce témoignage, entré en ma possession par le plus grand des hasards.

En effet, la guerre finie, l'argent se mit à manquer dans mon pays d'Allemagne. Les plus riches comme les plus démunis vendaient bijoux de famille, meubles, vêtements,chiffons. Les hôtels des anciens dignitaires nazis, surtout, étaient vidés sitôt leur condamnation tombée.

C'est lors de l'une de ces ventes aux enchères que je fis l'acquisition d'un petit secrétaire. Sa modestie et son charme brut m'avaient séduit. Dans la précipitation avec laquelle s'était effectuée la vente, l'on avait négligé de vider les tiroirs. Ils devaient sûrement toujours contenir les papiers du précédent propriétaire. Je fus d'abord déçu :ils étaient vides ; mais un seul était verrouillé, et la clef manquait.

J'ai toujours été d'un naturel curieux et, peu soucieux d'entamer le bois, je forçai d'un geste fébrile le petit secrétaire. Dans un craquement terrible, la serrure sauta et le tiroir s'ouvrit. Visiblement, mon prédécesseur– un gradé SS que l'on avait pendu pour crimes de guerre –n'avait pas profité de son butin. Je dis « butin », car il était courant pour les officiers de piller les maisons en territoire conquis, ramenant à la maison et exhibant toutes sortes de petites marques de gloriole écœurante.

Le tiroir était plein à craquer de pages volantes qu'il vomit sur mon tapis dans un frémissement. Je me jetai à genoux et les rassemblai, tremblant.

Ce sont ces feuillets que je soumets ici au lecteur. Par égards de conscience, je n'en ai voulu toucher à aucun mot. J'y ai cependant apporté ma modeste traduction et, pour plus de commodités, les ai classés en chapitres.

Mais laissons là les circonstances étonnantes de ma découverte. Ce que l'auteur – j'entends, le véritable auteur – a à raconter est autrement plus important.

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