Chapitre II

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Une année passa. La montée en puissance du nazisme se poursuivait.Notre groupe continuait de mener ses sabotages et ses assassinats de partisans nazis. Ma présence au sein de la Résistance – ainsi que celle de Lars – s'était affirmée. Nous menions à présent les opérations les plus délicates, celles qui consistaient habituellement à éliminer les membres eux-mêmes du parti nazi.

Lars et moi avions grandi ensemble. Nous nous vouions une confiance sans borne. Il avait choisi comme dénomination Lars, mais je le connaissais sous le nom de Niels Franksen. Ses parents, d'humbles paysans danois, avaient été battus à mort par des soldats allemands, sous seul prétexte qu'ils étaient juifs. Je ne sus comment Niels en réchappa. Il ne dit jamais mot à ce sujet. J'avais appris l'événement par les commérages voisins.

Notre armée avait perdu un membre. Raisin s'était fait prendre. Il avait cependant réussi à croquer sa pilule de cyanure avant la torture.Il mourut en héro, et nous n'oublierons pas son sacrifice. Il avait donné sa vie pour un Danemark plus libre et purgé de la crasse du III° Reich.

Lézard, Menthe, Cannelle, Tilleul, Lars et moi nous étions tous regroupés dans le petit café. Lézard nous remit une note à laquelle était épinglée une photographie. Sur la note, un nom et une adresse. Sur la photographie, un visage cordial et souriant. Celui d'un journaliste qui vomissait quotidiennement sa propagande dans les journaux régionaux. Je réajustai mon Welrod et sorti en compagnie de Lars. Dit « pistolet-assassin », le Welrod était l'arme parfaite pour nos opérations. Silencieux et pratique. Menthe les faisait venir d'un groupe de Résistants belge, lui-même approvisionné par la Grande-Bretagne. Ce fidèle 9mm ne me quittait qu'au profit d'un revolver ENFIELD .38 No2 MkI, plus petit et plus discret, arrivé lui tout spécialement de Nouvelle-Zélande.

Nous arrivâmes au bâtiment de l'adresse. Lars attendrait dans la voiture. J'empoignai mon chapeau et me dirigeait d'un pas sûr vers l'entrée. Je sonnai. On entrouvrit. Je reconnus la figure gentille du cliché. Je pressai la détente. Il n'eut même pas le temps de prendre un air surpris. La balle alla se loger dans les chaires avec un petit bruit humide. Je dégringolai les escaliers et sautai dans la voiture que Lars avait gardée allumée. Il valait mieux décamper en vitesse.

Nous entrâmes dans le garage afin que l'on repeigne notre automobile. Les mécaniciens nous aidaient. La police nous aidait. Tous ceux habités par la haine et le dégoût du nazisme nous aidaient à leur manière.La police danoise nous fournissait de faux-papiers et des uniformes ainsi que, lorsque l'occasion le permettait, des véhicules. Les imprimeurs activaient leur presse de nuit, tirant des journaux clandestins et des tracts distribués à la population. Les épiciers et les boulangers nous prodiguaient un peu de nourriture, ô combien chère ; les propriétaires de cafés nous offraient un lieu de rassemblement ; et certains habitants de Copenhague hébergeaient des Résistants ou des Juifs. Si l'on comptait chaque personne effectuant un acte de Résistance, aussi infime, aussi isolé soit-il, nous étions des centaines, peut-être même des milliers dans le pays.

Une fois le véhicule repeint d'un bleu pâle, nous retournâmes au café.A grands renforts d'aquavit, nous fêtions aux environs d'officiers allemands l'assassinat. Puis je rentrai chez moi.

Un vieil homme, trop âgé pour envisager des sabotages, me loger dans ses combles, qu'il avait agrémentés d'un lit en fer forgé, d'une chaise et d'un bureau auxquels j'avais plus tard ajouté une petite armoire.

Ce soir-là, Niels m'avait accompagné. Nous fumions des cigarettes en parlant de tout et de rien lorsque mon logeur fit entrer un jeune homme. Il en était toujours ainsi. Les visiteurs entraient et sortaient librement dans ma petite chambre, les habitués se contentant d'agiter leur chapeau devant le propriétaire, les autres se faisant escorter par l'aimable vieux. Aussi ce dernier ne s'était-il pas étonné quand ce garçon m'avait demandé.Cependant, cette fois-ci, je n'attendais ni ne connaissais le nouveau venu.

Je le dévisageai de haut en bas, un peu étonné, il faut l'avouer. Il paraissait à la fois angoissé et déterminé. Ses doigts, qu'il avait fins et blancs, trituraient en tremblant un pauvre chapeau de feutre tout râpé.

Il attendit que le vieux fut sorti, puis me sorti de but-en-blanc :

« Je veux en faire partie.

- Partie de quoi, mon gars ? répondis-je.

- De la Résistance. »

Je fronçai un sourcil.

« Tu as quel âge ?

- Dix-sept ans »

J'entendis Niels grommeler.

« Un gamin.

- En admettant que tu sois au bon endroit, quelles sont tes motivations ?

- Ma sœur de six ans a été tabassée sous mes yeux par un soldat SS, parce que j'avais refusé de m'excuser après l'avoir bousculé. Elle n'a pas survécu à ses blessures. Depuis ça, j'attends de pouvoir écouter ce qu'elle me cri chaque jour : ''Vengeance !''. »

J'échangeai un coup d'œil avec Lars. Celui-ci l'examina de nouveau,longuement, puis haussa les épaules.

- « C'est bon, dis-je, j'en parlerai aux autres. Reviens après-demain, même heure.

- Merci. »

Et il sortit.

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