20 ans partie 1

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 Je fermais la porte avec rage et de grands pas m'emmenaient loin de cette maison où liberté n'avait de place. Comment pouvaient-ils me faire ça ?

Dans cette banlieue parisienne, bourgeoisie et hypocrisie étaient de mise, j'en étais bien consciente, mais penser que mes propres parents m'auraient enfermés dans leurs désirs tout en ignorant sciemment les miens n'étaient que trop dur à concevoir. Voilà vingt ans que je vivais sous leur règles, toutes aussi stupides que sévères, vingt ans durant lesquels je m'étais comporté selon leurs attentes, en pensant que l'amour ne se gagnait qu'à force d'assiduité et même plus encore, de soumission. Seulement, non content d'avoir régis toute ma jeunesse, mes parents pensaient aujourd'hui qu'ils se devaient de faire de même avec mon futur tout entier. Ainsi, c'était avec pour seuls frères d'armes mes deux grandes valises, que j'avais annoncé durant mon « cocktail de fiançailles surprise », je croyais d'ailleurs sans me tromper que j'en avais été la première surprise, devant toute une assemblée, mes parents et sans doute aussi celui qui aurait du être mon futur époux, que je n'avais nul intention de me marier, si ce n'est par amour. Alors, aussi « parfait » que ce Jean Thomas avait pu être, alors même qu'il était un « prometteur futur médecin » selon les dires de mon père, il ne m'avait fallu qu'une minute de réflexion pour tracer un trait à vingt ans d'enfermement.

C'était donc ainsi, que sous la douce chaleur du mois de Juin je me retrouvais seule, sans moyen ni foyer. Et pourtant pour la première fois je me sentais vivre. Toutes ces immenses maisons autour de moi, où se complaisaient richesse et rigueur me dégoutaient plus que jamais. Les jardins si bien entretenus, avec pour parure jacinthe, orchidée et pétunia, toute cette perfection me semblait tout d'un coup si fausse. Et l'on voulait m'enfermer de nouveau dans ce genre de vie parfaite, avec le mari parfait. Seulement, moi, la seule pensée qui me venait était celle-ci ; « J'ai vingt ans. Jusqu'à maintenant je n'avais pas vingt ans. Alors j'ai obéi. Bientôt, je n'aurai plus vingts ans. Alors je devrai écouter. Mais aujourd'hui j'ai vingt ans, alors je ne veux plus penser. »

Après quelques heures de voyages dans différents autobus, j'étais arrivée au coeur de Paris, capitale de l'art, de l'amour, et surtout de l'espoir, celui d'enfin devenir ce qu'on ne m'avait jamais proposé d'être. J'avais pu entrer en contact avec l'un de mes cousins, lui et sa femme vivant dans la capitale. M'ayant toujours apprécié il n'avait ni porté de jugement ni prévenu ma famille, seulement fourni un toit à une jeune fille livrée à elle-même. J'avais rendez-vous avec lui à 17h, devant les caves du St Germain. Une jupe cintrée à la taille, des ballerines, une marinière et bien sur mon indispensable foulard rouge, j'attendais patiemment sur un banc, dix mètres plus loin. Comme voulant m'affranchir de mon ancienne vie de restriction et de bienséance, j'ornait un rouge provocant au bout des lèvres et un large trait noir au dessus des yeux. Je me sentais différente, j'étais différente. A ma grande surprise je ne montrais plus mon éternelle timidité lorsque des regards masculins se posaient sur moi, je leur souriais même en retour, une insolente pointe de défi dans l'oeil. Une jambe croisée au dessus de l'autre, les coudes sur mes genoux je lisais Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, acheté plutôt dans la journée. Car oui, le féminisme, la liberté de la femme, la mienne, serait maintenant au centre de mon attention, ainsi j'en avais décidé dans mon élan d'émancipation. Je relisais encore et encore les deux mêmes phrases qui avaient capté mon attention, ou plutôt, me fascinaient terriblement ; « La femme n'est victime d'aucune mystérieuse fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux » et surtout « On ne naît pas femme : on le devient ». Tout comme j'avais choisi de ne pas me soumettre et d'épouser Jean Thomas, je choisissais maintenant de devenir une nouvelle femme, d'avoir vingt ans véritablement. C'étaient sur ses pensées que mon cousin me rejoignait et que je fermais avec énergie et un sourire au coin mon si précieux livre. 

Tumultueuses penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant